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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/702

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cernée de brouillards qui rampent à l’horizon ; mais, par un étrange contraste, le ciel est bleu au zénith, et le soleil projette sur les flots, par places, de longues traînées de lumière. C’est un soleil sans force, pâle et blafard, comme un flambeau à demi éteint, incapable de dissiper les brumes. L’écart de la température, suivant qu’on l’observe à l’ombre ou au soleil, est à peine de deux degrés. Les faibles rayons de l’astre suffisent pourtant pour produire le curieux phénomène de l’arc-en-ciel blanc, que nous avions déjà observé dans le voisinage du cercle polaire. La température s’adoucit sensiblement, et, par momens, la mer est si calme, si belle, que vue à travers les glaces du salon, elle fait penser à la Méditerranée. Mais ce ne sont là que des impressions fugitives, car rien n’est plus variable et plus inconstant que les mers arctiques, comme nous devions en faire l’expérience par l’ouragan qui nous assaillit au retour.


II

12 août. — Voilà près de deux jours que nous n’avons plus aperçu aucune terre, puisque l’île des Ours ne s’est pas montrée à nous. Nous calculons que nous ne devons plus être bien loin du Cap Sud, extrémité méridionale de la plus grande île de l’archipel, le Spitzberg occidental. Aussi, profitant du calme de la mer, chacun fait-il ses préparatifs de débarquement. Les chasseurs chargent leurs fusils, les photographes chargent leurs appareils, les alpinistes déballent leurs piolets et arment leurs bottes de bataillons de clous : le professeur Brun, de Genève, grand alpiniste devant le Seigneur, en a une bonne provision qu’il partage généreusement, et le fumoir a l’aspect d’un atelier de savetier, chacun enfonçant des clous à grands coups de marteau.

Vers le soir, le pilote annonce que le Spitzberg est en vue. L’émotionnante nouvelle attire en un instant tout le monde sur le pont, mais vainement nous scrutons l’horizon vers le Nord : nous n’avons pas des yeux de pilote. Ce n’est qu’une grande demi-heure après que nous commençons à distinguer, à travers un voile de brume, des formes vagues qui s’accentuent à mesure que nous approchons. Cette première vue du Spitzberg me rappelle, d’une façon saisissante, la première vue que j’eus de l’Islande, il y a quelque vingt ans : la « Terre de glace » m’apparut,