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nord de la Norvège on peut voir, il est vrai, des glaciers se frayant un chemin jusqu’au bord de la mer, mais ils y meurent en pente douce. La caractéristique des courans de glace du Spitzberg, c’est le front terminal par lequel ils forment, au moment où ils atteignent la mer, une chute aussi brusque que celle du Niagara. Au Spitzberg comme ailleurs, les glaciers ont leurs périodes de progrès et de recul. Dans la Baie de la Recherche, nous avons vu des moraines à découvert qui attestent une période de retrait. Nous pouvions observer çà et là, sur la montagne, les traces indéniables d’anciens glaciers aujourd’hui disparus.

Nous atterrissons au Sud du glacier de l’Est. Un atterrissage au Spitzberg n’est pas aussi commode qu’un débarquement dans un de nos ports ; mais grâce à nos longues bottes de mer, l’obstacle d’eau glacée qui s’étend entre le canot et la grève est aisément franchi. Quelle joie de mettre pied sur cette terre déserte et inhabitée ! Equipés comme des explorateurs arctiques, armés les uns du fusil, les autres du piolet, les autres du kodak, nous nous éparpillons sur ces rives infréquentées, chacun se dirigeant au gré de sa fantaisie. Les uns entreprennent l’ascension de la montagne voisine, le Mont de l’Observatoire, qui nous domine de 500 mètres ; d’autres s’en vont en chasse ; pour ma part, j’accepte avec joie la proposition de M. Brun, le géologue de Genève, qui ne prétend à rien moins que de conquérir les glaciers vierges du pas de l’homme, et qui dans ce dessein a emporté tout son attirail de montagne : sac alpin, corde de soie, piolet. Pour que la corde soit efficace, il nous faut un autre adjoint : ce sera le professeur Karl. Débuter par un glacier du Spitzberg, voilà un exploit peu banal dans les annales de l’alpinisme : tel est pourtant le cas de M. Karl, qui n’a jamais de sa vie vu un glacier, et qui, avec un courage inconscient, se joint à nous. Après un dernier coup d’œil à l’Oihonna, dont nous n’apercevons plus que les mâts, qui émergent à une lieue de distance du sein des glaces flottantes, nous partons à trois heures du matin.

Nous attaquons le glacier par la moraine latérale. Cette moraine, qui nous frappe par son ampleur tout à fait inconnue dans les Alpes, est dominée par une gigantesque paroi blanche : on dirait, à première vue, d’une roche de dolomie, mais un échantillon nous révélera à l’analyse un marbre blanc identique au marbre de Carrare. Le Spitzberg n’a donc pas seulement des