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finie, s’est figée, et ne fait plus de bruit. — D’ailleurs, rien de vivant ne s’indique nulle part ; aucune trace humaine, aucune apparence de forêt ni de verdure ; les rochers sont seuls et souverains ; nous planons sur de la mort, mais de la mort lumineuse et splendide...

La forteresse, maintenant, est tranquille et presque déserte, les autres caravanes parties. Dans un coin de la cour murée, ou ne gisent plus que nos harnais et nos bagages, deux personnages en longue robe, les gardiens du lieu, fument leur kalyan, les yeux à terre et sans mot dire, indifférens à ces aspects d’immensité qu’ils ne savent plus voir. N’étaient les hirondelles qui chantent, on n’entendrait rien, au milieu du grand vide sonore.

Tout est solide, rude et fruste, dans ce caravansérail aérien ; les murailles délabrées ont cinq ou six pieds d’épaisseur ; les vieilles portes disjointes, bardées de fer, avec des verrous gros comme des bras, racontent des sièges et des défenses. — De plus, c’est ici une étonnante ville d’hirondelles : le long de tous les toits, de toutes les corniches, les nids s’alignent en rangs multiples, formant comme de vraies petites rues ; des nids très clos, avec seulement une porte minuscule. Et, comme c’est la saison de réparer, de pondre, les petites bêtes s’agitent, très en affaires, chacune rapportant quelque chose au logis, et rentrant sans se tromper, tout droit, dans sa propre maison, — qui n’est pourtant pas numérotée.

L’heure toujours morne de midi nous attire de farouches compagnons, cavaliers très armés, voyageurs qui en passant s’arrêtent à la forteresse, pour un moment de repos et de fumerie à l’ombre. Tout près de nous, sous des ogives de pierre, ils s’installent avec force saints courtois. Bonnets noirs et barbes noires ; sombres figures assyriennes, hâtées par le vent des montagnes ; longues robes bleues, retenues aux reins par une ceinture de cartouches. Ils sentent la bête fauve et la menthe du désert. Pour s’asseoir ou s’étendre, ils ont de merveilleux tapis, qui étaient plies sous la selle de leurs chevaux : ce sont les femmes, nous disent-ils, qui savent ainsi teindre et tisser la laine, — dans cette Chiraz très haut montée, presque un peu fantastique, où nous entrerons sans doute enfin demain soir... Et bientôt la fumée endormeuse des kalyans nous enveloppe, s’élève dans l’air vif et pur des sommets. Au milieu de la cour, dans le carré vide que le soleil inonde, il y a l’incessant tourbillon