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temps est frais, le soleil n’est plus dangereux comme en bas, et j’en ai assez d’être un voyageur nocturne.

Donc, après le kalyan de midi, on dispose la caravane, et il est à peine deux heures quand nous sortons des grands murs crénelés. L’âpre solitude se déroule aussitôt, triste et stérile dans une clarté intense, sous un ciel tout bleu. Çà et là des plaques de neige ressemblent à des draps blancs étendus sur le sol. Un aigle plane. Le soleil brûle et le vent est glacé. Nous sommes à près de trois mille mètres d’altitude.

Dans un repli du terrain, il y a un hameau farouche ; une dizaine de huttes construites avec des quartiers de rocher, basses, écrasées contre la terre, par frayeur des rafales qui doivent balayer ces hauts plateaux. Alentour, quelques saules à peine feuillus, grêles et couchés par le vent. Ensuite et jusqu’à l’infini, plus rien, dans ce lumineux désert.

Vers Chiraz, où nous arriverons enfin ce soir, nous descendons fort tranquillement par d’insensibles pentes ; nous sommes inondés de lumière ; les neiges peu à peu disparaissent, et nous sentons d’heure en heure les souffles s’attiédir. Nous ne rencontrons rien de vivant, que de grands vautours chauves, posés sur cette route des caravanes dans l’attente des bêtes qui tombent de fatigue et qu’on leur abandonne ; ils se lèvent à notre approche, à peine effrayés, se posent à nouveau et nous suivent des yeux. Les fleurettes pâles, les plantes rases, d’abord clairsemées sur ces steppes, se multiplient, se rejoignent, finissent par former des tapis odorans sous nos pas. Puis, commencent les broussailles de chez nous, les tamarins, les aubépines prêtes à fleurir, les épines noires déjà en fleurs. Le coucou chante, et on se croirait dans nos landes de France, n’étaient ces horizons qui se déploient toujours, si vastes, si primitifs : la Gaule devait avoir de ces aspects de beauté paisible, aux printemps anciens... Et voici maintenant une rivière, adorablement limpide, une rivière de cristal. Des osiers en rideau et quelques petits saules ont poussé au bord ; elle s’en va sur un lit de cailloux blancs, toute seule et comme ignorée dans la timide verdure de ses oseraies, traversant cette immensité sauvage ; sans doute elle doit finir par se précipiter, en séries de cascades, dans des régions moins hautes et moins pures, et se souiller à mille contacts : mais ici, passant au milieu de ce vaste cadre sans âge, qui doit être tel depuis le commencement des temps, elle