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Le commerce anglo-français ne soulève de pareilles tempêtes, ni chez nous, ni chez nos voisins. Notre consul à Londres explique fort bien ce contraste : « Le caractère essentiel de ce commerce, dit-il, est d’être particulièrement complémentaire de la production des deux pays. » Ce que la France vend à la Grande-Bretagne, ce n’est pas, comme l’Allemagne, des articles qui font concurrence aux marchandises anglaises, mais des articles que la Grande-Bretagne ne produit pas : la réciproque est vraie, pour le gros des échanges, bien entendu, sauf exceptions particulières. Parmi les producteurs de chacune des deux nations, il en est ainsi fort peu qui soient lésés par la concurrence de l’autre, tandis qu’un très grand nombre trouve chez le peuple voisin un débouché avantageux. En Angleterre, et plus encore en France, il y a beaucoup plus de gens qui profitent du commerce anglo-français qu’il n’y a de gens qui en souffrent.

Les causes qui rendent ce commerce complémentaire de la production de chacun des deux pays sont profondes et permanentes. Aussi le rendent-elles en même temps remarquablement stable. « L’une de ces causes est la dissimilitude climatérique et géologique des deux pays, l’autre la dissimilitude des aptitudes des deux races. »

Que produit le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande, et que lui manque-t-il ? C’est une immense usine de transformation : grâce à la richesse de ses mines de houille et de fer, il peut, à meilleur compte qu’aucune autre contrée, se procurer la force et construire les machines qui permettent de manufacturer économiquement toutes les matières premières. Aussi celles-ci affluent-elles du monde entier pour s’en retourner sous forme d’objets fabriqués. Les premières marchandises que l’Angleterre doive acheter au dehors, sont donc les matériaux de ses grandes industries : métaux bruts, laine, coton et textiles divers, peaux, bois, etc., dont elle a importé, en 1902, pour 4 milliards 700 millions. Mais le sol britannique, généralement médiocre, ne saurait suffire à nourrir de nombreux habitans ; l’Angleterre s’en est rendu compte dès le milieu du XIXe siècle et, pour que la main-d’œuvre ne manquât pas à son industrie croissante, elle a ouvert ses portes toutes grandes aux produits alimentaires du dehors. Nul doute qu’elle n’ait sagement agi, car c’est ainsi seulement qu’elle pouvait tirer tout le parti possible de la supériorité industrielle qu’elle tenait de la nature et qui allait lui donner une