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nous sommes mal pourvus à cet égard. » Mais Schopenhauer et Gobineau avaient soutenu la thèse contraire, indépendamment l’un de l’autre, et M. Chamberlain la conduit plus loin que ses prédécesseurs. Nul homme, dit-il, dès les premières pages de son introduction[1], n’est aussi pauvre en véritable religion que le Sémite. Et encore[2] : « Les nombreuses branches du tronc sémitique, si richement douées par ailleurs, ont été de tout temps étonnamment pauvres en instinct religieux. » A l’en croire, on constaterait en effet de très bonne heure chez ces peuples une sorte d’arrêt de développement dans l’évolution métaphysique, ainsi que le chaos méditerranéen nous en offrit déjà un exemple dans la sphère politique et sociale. La constitution du monothéisme à Jérusalem, œuvre si fort appréciée d’ordinaire par les héritiers émancipés du dogme chrétien, tels qu’un Kant ou un Spencer, ne serait en réalité qu’un appauvrissement métaphysique[3], une déchéance véritable au regard de l’admirable monothéisme aryen, déjà réalisé dès longtemps par les brahmanes. Car ces prêtres géniaux, grâce à une puissante synthèse de leur panthéon compliqué, proclamèrent le Dieu « Un » et non pas « Unique, » ce qui est bien différent. — Il est facile de le reconnaître d’ailleurs, l’Unité synthétique qui est applaudie en ce lieu n’est pas autre chose que le panthéisme de la philosophie allemande classique ; et l’auteur des Assises oublie vraiment trop que ce prétendu monothéisme aryen, si « vivant, » fut réveillé dans l’âme moderne par un penseur juif, Spinoza. Enfin sa sévérité pour la conception judaïque de Dieu et de ses rapports avec l’homme se marque plus encore lorsqu’il baptise ce système théologique du nom de « monolâtrie » qui exprime bien à son avis le matérialisme foncier, la crainte servile dont il croit reconnaître les inspirations au fond des documens bibliques.

L’animosité aveugle qui perce en tout ceci s’explique fort bien si l’on songe que M. Chamberlain, fort ami de la mystique, croit l’âme juive rebelle à tout mysticisme, infectée de rationalisme intransigeant par fatalité de naissance. Et cette illusion lui vient de ce qu’il emprunte en somme à son maître Schopenhauer

  1. p. 8.
  2. P. 220.
  3. Lire, à titre d’antidote aux exagérations de M. Chamberlain dans ce domaine, les excellens articles du docteur F. O. Hertz dans la Politisch-Anthropologische Revue, II, 7 et 8.