Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/869

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

[1] sa conception du caractère aussi bien que de la religion judaïque. Inspiration qui n’est pas très heureuse, car l’auteur du Monde comme Volonté fut toujours égaré lui-même sur ce point par une antipathie irraisonnée. Parce qu’il croyait indo-germaniques les thèses bouddhiques et mystiques qui séduisirent sa naïve jeunesse, le penseur de Francfort a fait tout simplement du Juif l’antithèse vivante de l’ascète pessimiste, que déifie son système. Parce qu’il voyait dans la Volonté incarnée sous l’apparence de la matière le principe mauvais, l’Ahriman du monde de la Représentation, il a réalisé dans le Juif, qu’il n’aimait point, l’incarnation la plus parfaite de la Volonté, insuffisamment vaincue par l’Intelligence. Matérialisme et Volonté prépondérante seraient ainsi les deux pôles du judaïsme, s’engendrant réciproquement l’un l’autre. M, Chamberlain, non content d’accepter ces vues excessives, les exagère encore jusqu’à se représenter parfois la mentalité juive comme amorphe, aveugle à l’exemple de la Volonté schopenhauerienne ; par là, ce qu’elle apporte aux autres peuples, sa contribution à l’œuvre civilisatrice, sa part dans les fondations du XIXe siècle n’aurait ni physionomie ni forme arrêtée, ne serait que Volonté, direction de la Volonté. N’est-ce pas concéder imprudemment à ceux qui nous sont donnés comme les adversaires du germanisme le monopole de la force du caractère et de la ténacité victorieuse ?

L’objection a été présentée à M. Chamberlain. On lui a fait observer que l’Aryen, presque bouddhique parfois, constamment mystique en tous cas, qu’il dessine après son maître en philosophie, semble l’antipode de l’Aryen que chérit l’anthropo-sociologie contemporaine, sorti celui-là de Gobineau, de Darwin, de tous les professeurs d’énergie du temps présent : figure combative et impérialiste au premier chef, chez laquelle la Volonté dominatrice n’a pas encore subi l’assaut de l’intellectuellisme anémiant. Comment donc la même étiquette ethnique peut-elle recouvrir de si différentes personnalités ? S’il s’étonne à cette objection, c’est que l’auteur des Assises n’a pas assez vu que deux aryanismes, absolument contradictoires, végètent dans les

  1. Déjà, dans son livre sur Richard Wagner, M. H. S. Chamberlain écrivait que bâtir sur Schopenhauer, c’est « bâtir sur le roc, » et il le nomme, dans les Assises (p. 398), « un des penseurs les plus puissans qui aient jamais vécu, dont la pensée possédait une plasticité symbolique sans exemple, inconnue même à Platon, à ce point que sa conception du monde semble en beaucoup de points parente d’une religion. »