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quand même on les aurait, pourquoi détruire des œuvres qui n’y sont pour rien ? Sur qui l’action de brûler ces tableaux fera-t-elle impression ? Sur le peuple ? On dira donc au peuple que ces tableaux furent l’œuvre d’un traître et que la République ne veut rien « qui nous rappelle de pareils monstres ? » Le membre en question a dit autre chose, mais cette autre chose, on en a ordonné la suppression au procès-verbal, et, en effet, les lignes qui suivent ont été biffées avec soin, pas assez pourtant pour nous empêcher de les déchiffrer. Voici ce qu’on n’a pas voulu laisser à la postérité : « Mais que, demain, je suppose, l’auteur des tableaux de Marat et Lepelletier vienne à oublyer les devoirs envers la patrie, et à se soustraire à la vengeance nationale, vous verriez le peuple venir vous demander l’autodafé de ses ouvrages, et vous ne pourriez le lui refuser puisque vous lui auriez vous-même donné l’exemple. L’on me répondra que les tableaux de Fabre et de Gauffier ne sont pas de bons tableaux, cela se peut ; mais le peuple ne regarde pas cela. Il regardera que votre intention en brûlant leurs tableaux a été de détruire leur souvenir, et il voudra en faire de même. »

Soupçonner David, quel crime ! Et pourtant il ne fallut pas plus de six mois pour que « l’auteur des tableaux de Marat et Lepelletier » fût arrêté sur cette accusation qu’il avait « oublié ses devoirs envers la patrie. » Quoi qu’il en soit, on décide qu’une pétition sera rédigée et remise au Comité de Salut public.

A qui le tour maintenant d’être dénoncé ? Wicar va s’en charger. Cette fois, c’est aux « ouvrages d’une obsénité révoltante pour les mœurs républicaines, lesquels obsénité salissent les murs de la République. » Il faut proscrire ces ouvrages, il faut les brûler au pied de l’arbre de la Liberté. Wicar, Petit-Couperay, Bosio et Lesueur sont chargés d’une mission à ce sujet. Sergent s’en mêle, tout le monde parle à la fois, on incrimine les artistes, et Boilly vient modestement s’expliquer à la barre de la Société. Il dit qu’il « a abjuré ses anciennes erreurs, » et la preuve, c’est qu’il va se mettre en mesure de demander son admission à la Société Populaire et Républicaine des Arts.

Entre temps, on rappelle le rôle néfaste des anciens académiciens, qui ne voulaient pas que le peuple s’élevât jusqu’à eux ; on constate que le premier concours arrêté par la Convention est celui de la statue de J.-J. Rousseau, et on insiste pour que tous les travaux soient donnés dans les mêmes conditions, ce qui est