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voyage. Les Lettres et Voyages de Monsieur César de Saussure étaient restés inédits : la première partie, relative à l’Angleterre, vient d’être publiée avec grand soin par le savant historien de la Confédération Suisse M. Van Muyden. Pour comprendre l’intérêt de ce document, il suffit apparemment de remarquer que, si Muralt avait connu l’Angleterre de 1694, les années de séjour du jeune Vaudois en Angleterre, qui vont de 1725 à 1729, sont aussi bien celles où y vécurent Voltaire, qui arrive à Londres en 1726, l’abbé Prévost, qui y vient une première fois en 1728, Montesquieu, qui y débarque en 1729 ; Saussure a eu sous les yeux la société-même d’après laquelle Voltaire a écrit les Lettres anglaises.

Son témoignage a une valeur incontestable. D’abord cet écrivain n’écrit pas pour le public. Il avoue avec une touchante modestie qu’il n’a jamais eu la démangeaison d’augmenter le nombre des mauvais auteurs ; persuadé que son livre ne se vendrait qu’aux marchands épiciers, il a mieux aimé le garder en manuscrit. Il est vrai que ce manuscrit circulait à Berne, Genève, Lausanne et fut prêté à plus de deux cents personnes. Puis César de Saussure est un curieux : il fait son métier de voyageur avec une belle conscience ; il a vraiment une âme de touriste : il veut tout voir. Muralt, qui ne s’intéresse qu’aux idées et aux mœurs et n’a nul souci du pittoresque, s’excusait de ne pouvoir régaler son lecteur du plan de quelque édifice, décrire un tombeau, blasonner des armes. « Ma négligence va si loin, ajoutait-il dédaigneusement, que je n’ai pas vu la cérémonie du jugement d’un lord qui s’est rendu depuis que je suis à Londres, et que je ne suis point allé voir les courses de chevaux qui sont un des grands spectacles d’Angleterre. Oserai-je vous le dire ? J’ai négligé de voir le roi dans ses habits royaux. » Ce n’est pas le jeune Saussure qui se rendrait coupable d’une telle négligence ; et surtout il ne s’en vanterait pas. Il visite les monumens et les décrit avec minutie. Il est friand de tous les spectacles. Il assiste à toutes les cérémonies officielles : couronnement du nouveau roi, installation des Chevaliers du Bain, fête de Mylord Maire, et il ne manque pas d’en noter très exactement l’ordonnance et la pompe. Il va partout où on peut aller : au cercle du roi, au Parlement, au théâtre, à une pendaison, à l’office des quakers, à la synagogue, et au café. Rien de ce qui touche à la vie anglaise ne le laisse indifférent ; le va-et-vient des bateliers sur la Tamise, l’épaisseur de la boue dans les rues, la forme hétéroclite des fiacres, la propreté des femmes qui se lavent tous les jours, la recette pour faire du punch ou pour garder le charbon de terre, il a tout enregistré. Le fait