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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/924

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de toute sa vie, qu’un seul livre, la Bible, dans l’admirable traduction de Luther : c’est maintenant encore son unique lecture. Il passe ses journées assis dans un coin, son gros livre sur les genoux et ses lunettes sur le nez ; ou bien, quand le temps est beau, on le voit se traîner dans le jardin de la petite maison, et, péniblement, essayer de se rendre utile en arrosant les choux.

Mais la vieillesse de ce brave homme a été traversée d’un grand événement. Un matin, peu après son arrivée dans le village, il est allé acheter quelques mains de papier, et, sans prévenir personne de son intention, il s’est mis à écrire l’histoire de sa vie. Pendant deux ans, il a continué d’écrire, jamais ne se corrigeant, ne revenant jamais en arrière, infatigable à noircir les pages, de sa grosse écriture enfantine et tremblée. Il a raconté tour à tour l’origine et le mariage de ses parens, ses premières années, son école, son apprentissage et son admission à la maîtrise, son tour d’Allemagne, ses travaux de terrassier dans les plaines de Westphalie et les seize années de son séjour dans une briqueterie d’Osnabrück : tout cela avec tant de détails que son manuscrit, si on l’imprimait d’un seul coup, aurait de quoi remplir un massif in-octavo de sept ou huit cents pages. Puis, ayant achevé le récit de la façon dont il avait été congédié de la fabrique d’Osnabrück, en 1885, il s’est arrêté, comme si soudain l’inspiration l’avait abandonné ; de telle manière que son autobiographie restera sans doute à jamais incomplète.

Or, il est arrivé que, l’hiver dernier, un ancien pasteur, devenu à présent un des écrivains les plus connus du parti socialiste, M. Paul Gœhre, a été averti par hasard de l’existence de cette autobiographie. Aussitôt, M. Gœhre s’est rendu auprès du vieux Fischer, et, ayant obtenu la permission de lire son manuscrit, il l’a jugé d’une lecture si curieuse qu’il a résolu de le faire imprimer : mais, comme il ne voulait pas abréger ni modifier en quoi que ce fût le texte original, et que l’ensemble paraissait trop long pour un seul volume, il vient de nous en offrir d’abord les trois chapitres les plus importans (ou plutôt trois morceaux, car le manuscrit de Fischer n’avait point trace de chapitres, ni d’alinéas, ni de divisions d’aucune sorte), se réservant de publier plus tard les autres parties. C’est ainsi que l’écrit de l’ouvrier saxon se trouve maintenant livré au public, qui d’ailleurs semble partager sur lui l’opinion de M. Gœhre, car peu de livres, ces temps passés, en Allemagne, ont été plus lus avec une curiosité plus ardente et plus sympathique. L’ex-terrassier est devenu un auteur à la mode. Mais nous le croyons sans peine lorsqu’il nous affirme, par l’entremise de