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des actes, des écrits, même des paroles, et qui posent ainsi devant la postérité leur redoutable énigme. » C’est ce secret que M. Masson cherche à découvrir dans la mêlée confuse des événemens, et il a résumé son sentiment dans des pages où s’estompent, en un tableau d’une vérité saisissante, les traits principaux d’une figure indécise et terne, et qui en fixent le caractère moral avec toute la précision qu’on y pouvait apporter. A côté du Roi de Rome, l’Empereur nous apparaît sous des traits plus humains. A la naissance de son fils, il a vu son étoile remonter à l’horizon : il croit désormais que l’avenir lui appartient. Il a pour ce fils l’attachement le plus passionné et le plus idolâtre. Quel soin ne prend-il pas non seulement de lui, mais de tout ce qui l’entoure, soumettant à son service son impérieuse volonté ! Et, quand il est terrassé par l’Europe, quand le malheur l’a courbé, c’est à son fils seul qu’il pense ; c’est ce fils qu’il recommande à Marie-Louise, à ses compagnons d’armes, à tous ceux du moins en qui il croit encore. Et, jusqu’au dernier jour, il est rivé à la pensée de son fils, et c’est sur le portrait de son fils qu’il attache ses regards mourans, comme s’il voulait emporter cette image par delà la tombe : « Mon souvenir sera la gloire de sa vie. »

Or, ce fils, qu’a-t-il été ? Physiquement, c’est un Autrichien et, bientôt, il sera aussi déformé moralement qu’il était atteint physiquement. Pour s’en convaincre, il suffit de le voir, non pas comme le représentent tous ces portraits faits en France dont on connaît tant de répétitions, où chaque artiste s’ingéniait à préciser le rapport entre le fils et le père, et, s’écartant des originaux, déjà peu fidèles, d’Isabey, arrivait à formuler une tête purement napoléonienne, mais comme nous le montrent toutes les autres peintures et dessins et croquis exécutés en Autriche, si admirablement reproduits dans ce beau livre, et qui en apprennent tant sur le duc de Reichstadt. Si Napoléon a voulu, par des portraits officiels, imprimer à son fils le type dynastique, qu’il a imprimé lui-même à ses propres représentations, ce type disparaît dès la chute de l’Empire : entre le Roi de Rome et le prince de Parme, un abîme se creuse, et, loin de reproduire les traits de son père, l’enfant, selon une loi commune, reproduit ceux de sa mère, ceux-là qui sont héréditairement fixés dans la maison d’Autriche. « Que mon fils n’oublie jamais, avait dit Napoléon, qu’il est né prince ! » Il ne l’oublia pas. Goethe a dit que nul ne devient grand dans l’histoire sans avoir recueilli un grand héritage, et l’héritage, de Napoléon, c’était la Révolution française. M. Frédéric Masson a très bien montré tout cela dans cette belle étude historique, où il cherche la vérité dans la mêlée