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militaire dont il a donné des preuves si remarquables, il est le premier à en avoir besoin. Le gouvernement du Mikado le comprend fort bien, mais il a affaire à une opinion publique qui s’en rend moins compte. L’opinion est extrêmement surexcitée au Japon : si le gouvernement se laissait conduire par elle, on en viendrait vite aux dernières extrémités. Nos journaux démocratiques aiment à répéter que les peuples sont toujours pacifiques et que les gouvernemens seuls sont belliqueux. Il est douteux que ce soit une vérité en Europe, où l’esprit des gouvernemens est fort changé, mais sûrement ce n’en est pas une au Japon. Le peuple n’y rêve que guerre et conquête, tandis que le gouvernement, plus sage parce qu’il est plus éclairé et mieux renseigné, recherche et poursuit les solutions pacifiques avec une bonne foi qui, nous l’espérons, sera récompensée.

Il y a trois semaines environ, le parlement japonais s’est réuni, et a eu à répondre à un discours du trône prudent et circonspect comme les discours du trône le sont habituellement. La réponse de la Chambre des représentans a résonné comme une fanfare guerrière. Après la dénonciation qu’elle a dirigée contre la politique des ministres, il ne restait plus qu’à mettre ceux-ci en accusation. Mais le gouvernement a pris un autre parti : il a dissous la Chambre elle-même. A partir de ce moment, on a été convaincu que, s’il était parfaitement résolu à ne compromettre ni les intérêts ni la dignité du pays, il ne l’était pas moins à ne pas les risquer dans une aventure. L’incident a prouvé aussi, d’abord, que le parlement n’avait pas encore au Japon l’influence prépondérante qu’il exerce dans certains pays européens, et qu’il était heureux qu’il ne l’eût pas. Il serait prématuré de la lui laisser prendre : son éducation politique n’est évidemment pas achevée. Si la Chambre japonaise avait été réunie au moment où est arrivée la réponse de la Russie aux demandes du cabinet de Tokio, il aurait pu en résulter des conséquences fâcheuses. Cette réponse, qui n’a pas été jugée satisfaisante par le gouvernement, aurait encore contribué à l’exaltation des esprits, et le gouvernement aurait éprouvé une difficulté de plus à conserver le calme et la modération qui lui étaient devenus plus que jamais nécessaires. Il les a conservés. On affirme que sa réponse à la note russe, bien loin d’être la préface d’une rupture, a au contraire pour objet d’ouvrir un nouveau terrain de conciliation. Nous avouons toutefois notre ignorance sur le fond des choses. Les détails de la négociation n’ont pas été publiés ; ceux qu’on a cru connaître et que les journaux ont reproduits, vraisemblables sans doute, conservent un caractère hypothétique. Ne pouvant parler