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amours de Françoise et de Paolo. Il a la lâcheté de prévenir le mari : il s’associe à lui pour tendre aux amans un piège mortel. Ce sera la chambre même de Françoise qui servira de décor à ces scènes suprêmes. Un soir où Paolo, après le départ des servantes, vient apporter sa tendresse passionnée, les deux amans sont frappés au milieu de leur délire.

Et M. d’Annunzio aura le droit d’écrire, dans la préface qui sert d’avant-propos à ce drame, une phrase qu’il faut retenir : « Je me suis efforcé de faire valoir cette œuvre par la somme de vie active qu’elle contient, »


III

Quand on annonça à Francisque Sarcey que Mme Duse venait tout exprès à Paris pour représenter une pièce en un acte qui était, au théâtre, le début de M. d’Annunzio, il déclara, dans cette forme pittoresque qui lui était ordinaire : « Je veux croire que ce brillant romancier a jusqu’ici caché son jeu, et qu’il va se révéler homme de théâtre, mais alors — c’est un monstre de dissimulation ! » Au sortir de la représentation du Songe d’une matinée de printemps, le critique déclara qu’il avait été bon prophète.

On ne reprochait pas à M. d’Annunzio d’avoir placé au centre de sa composition, comme principal protagoniste, le personnage de la folle par amour. On remarquait seulement que, contrairement à l’esthétique du théâtre, qui est action, c’est-à-dire progrès d’une situation, ce « songe » piétinait sur place. En effet, on n’assiste pas aux tendresses de ce Roméo et de cette Juliette. On ne voit pas la surprise des deux jeunes amans, l’assassinat du coupable. Quand le rideau se lève, l’infortunée Isabelle est déjà démente. Elle ne se reprendra pas une seule minute au cours du poème. La dernière ligne de la pièce la retrouvera au point de douleur où elle était quand le spectacle a commencé. Elle s’est contentée de tourner des fleurs entre ses doigts, — cette fois, comme Ophélie, — mais sa chanson est moins courte et, quelle que soit la grâce exquise de cette chanson-là, elle a paru longue au théâtre, même quand c’était Mme Éléonore Duse qui la disait.

On s’étonne d’abord qu’un artiste aussi doué que n’ait pas prévu ce mécompte ; mais, lorsque, rentré chez soi, on lit le texte de la pièce avec les « annotations scéniques » que l’auteur y a mises, on a une réponse à la question. M. d’An-