Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 19.djvu/674

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

toutes leurs richesses. Te souviens-tu, Alexandre, du passage d’Homère :… « Et ils gisaient parmi les vases et les tables servies ; et toute la salle était souillée de sang. Et j’entendais la voix lamentable de la fille de Cassandre que la perfide Clytemnestre égorgeait à côté de moi» ? Pendant une seconde, mon âme a vécu d’une vie très ancienne et violente. Ils étaient là, les assassinés, les Rois des Rois, la Princesse esclave, l’Aurige et les Compagnons, là sous nos yeux, pour une seconde immobiles… »

Nul ne songera à reprocher à M. d’Annunzio d’avoir, cette fois, mis en « récit » l’histoire de cette découverte, et lui seul était capable de nous donner, en une telle occasion, cette sensation : « d’apparitions hallucinantes, » de : « richesses inouïes, » de : « splendeurs terribles révélées comme dans un songe surhumain, » dont il parle. Mais, nous, spectateurs, ce ne sont pas les Atrides qui nous intéressent ici, ce ne sont pas les précisions archéologiques, ce n’est même pas une conception, exacte ou non, des passions de l’amour ; ce qui nous importe, c’est la façon dont ces passions sont mises en œuvre, en action, à propos des quatre personnages qui ont l’air d’être de notre temps et qui sont : deux archéologues, une jeune fille, et une pauvre femme aveugle. À ce point de vue, nous n’avons pas satisfaction.

Le frisson, que des beautés de premier ordre éveillent tout du long de la pièce, lui est, pour ainsi dire, extérieur. On frémit tout le temps de ce qui, étant donnée la situation, pourrait arriver, et n’arrive pas.

De tous ces faits, que l’on prévoit comme certains, et que l’on appréhende, le plus dramatique est certainement la mort de l’innocente Blanche-Marie, prise entre ces deux fureurs d’hommes. Mourra-t-elle ? et, si elle meurt, à la suite de quels aveux, de quels débats ? en accusant les autres ? elle-même ? ou en pardonnant à ses bourreaux ? en maudissant l’amour ? ou en l’absolvant malgré tout ? Le drame est là, pour nous, et nous affirmons qu’il ne sera pas fini tant qu’on ne nous aura pas dit quelle clarté sort, pour Léonard et pour Alexandre, du sacrifice de la jeune fille ; si leurs yeux s’ouvrent enfin sur leur folie, ou quelles raisons ils se donnent, l’un à l’autre et à eux-mêmes, pour persister dans le principe de leur déraison. Mais rien de tout cela ne nous est montré ; quand le rideau se lève sur le dernier acte, on voit d’abord le cadavre de Blanche-Marie étendu sur le gazon, veillé par les deux hommes. Léonard conte qu’il