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comédie, si toutefois il en est le complice. Tout cela est laissé dans l’ombre. On assiste à des scènes certainement très pittoresques, archéologiquement exactes, à des déballages d’étoffes rares, à des propos et des concetti qui sentent les mœurs du temps, à de gracieuses expansions entre Françoise et sa petite sœur : mais rien n’arrive de ce que nous attendons, et de ce qu’il nous faudrait.

Au second acte, nous espérons, avec une curiosité, certainement ardente, la scène où Françoise apprendra enfin qu’elle a été trompée. Sera-ce, chemin faisant, dans une confidence de Paolo ? À la première vue du boiteux Gianciotto ? Et alors que se passera-t-il entre eux deux, ou entre eux trois ? Françoise se répandra-t-elle en imprécations contre celui qui l’a perdue ? Lui fera-t-elle, malgré tout, l’aveu de ses sentimens ? Rien de tout cela ne nous est révélé. Quand le rideau se relève, Françoise est mariée, et elle est calme en apparence. Le poète ne nous donne aucun renseignement sur son état d’âme. Au milieu des soldats qui défendent la tour contre l’assaut de l’ennemi, Françoise paraît, debout, une torche à la main. Emportée par un élan lyrique admirable, qui donne au spectateur le goût de faire bisser le couplet, comme s’il entendait un air de bravoure, elle célèbre en ces termes les vertus du feu :

« Ô belle flamme ! Elle triomphe du jour ! Comme elle est vive ! Comme elle vibre fort ! Toute la pique en vibre, et ma main, et mon bras, et mon cœur ! Je la sens plus près que si je la tenais dans ma paume. Veux-tu me dévorer, belle flamme ? Veux-tu me faire tienne ? Je sens que je deviens folle de toi. Mais comme elle rugit ! Elle rugit, demandant une proie, elle demande à voler. Je veux la lancer dans les nuages… Merveille ! Joie des yeux ! Désir de resplendir et de détruire ! Dans le cœur silencieux de quelle haute montagne demeuraient-elles congelées, ces gemmes que la flamme délivre, et ressuscite en souffles d’ardeur ? Vie terrifiante et rapide ! Beauté mortelle ! Elle vole par la nuit sans étoiles ! Elle tombe dans le champ de bataille ! Elle drape l’homme armé, enveloppe son armure, s’insinue entre les mailles, se rue partout où il y a une veine, fend l’os, atteint les moelles ; le tord, le suffoque, l’aveugle ! Mais, avant que ses yeux soient brûlés, toute son âme éperdument hurle, dans la splendeur qui le tue… »

Quel est le sens caché de cette magnifique invocation ? Évi-