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Ainsi, du côté du gouvernement, nous retrouvons cette idée, habituelle aux temps révolutionnaires, qu’il n’y a pas de droit pour un adversaire. Le plus fort accable ou expulse le plus faible, et celui-ci est encore favorisé s’il n’est qu’expulsé. Mais, du côté de l’opinion, le sentiment a été différent. Lorsqu’on a appris qu’un Alsacien, et non pas le premier venu, mais un représentant de l’Alsace au Reichstag allemand, avait été expulsé dans les formes les plus brutales et dans des termes qui ajoutaient quelque chose à la tristesse de l’incident, l’émotion a été générale. L’esprit de parti l’a sans doute entretenue, mais ne l’a pas fait naître : il y a eu là quelque chose d’immédiat et de spontané. L’explosion en a eu lieu sur tous les points du territoire à la fois, à la manière du feu qui prend à une traînée de salpêtre. Sa violence a été telle que le gouvernement et ses amis ont été d’abord déconcertés ; ils ont eu peur, et c’est un des motifs pour lesquels M. Combes a demandé à la Chambre une remise à huitaine. Si la bataille avait été livrée tout de suite, la victoire était douteuse. Mais, en huit jours, on peut faire beaucoup d’ouvrage.

M. Combes n’a pas perdu son temps. Les journaux ont commencé par manifester une grande surprise de l’exaltation des esprits à propos d’un incident qui n’avait en lui-même rien que de très banal, et qui était justifié par des précédens : on sait que les précédens justifient tout ce qui leur ressemble. Ils ont raconté qu’en 1896, deux députés alsaciens au Reichstag allemand avaient déjà été expulsés de France, et que les arrêtés pris contre eux se servaient de ces mêmes termes d’« étrangers » ou de « sujets allemands » que M. le préfet de Meurthe-et-Moselle s’était contenté de reproduire. Quel était le président du Conseil en 1896 ? C’était M. Méline. Quel était le ministre de l’Intérieur ? C’était M. Barthou. M. Combes est même remonté plus haut dans notre histoire. Il a rappelé que M. Dufaure, en 1872, dans une circulaire adressée à ses procureurs généraux, avait indiqué l’expression de « sujet allemand » comme devant figurer dans les pièces d’extradition. Depuis, tous les arrêtés du ministère de l’Intérieur ont porté la même mention. N’y a-t-il donc pas une véritable déloyauté à faire un grief à lui, M. Combes, et à lui seul, de ce qu’on n’avait pas reproché à ses devanciers ? En ce qui concerne M. Dufaure, on pourrait dire que l’extradition et l’expulsion sont deux choses très différentes ; mais la vérité est qu’en 1872, au lendemain de nos désastres et au cours de l’exécution du traité de Francfort, qui a été si délicate et si difficile, nous devions garder envers nos vainqueurs, restés sur une portion de notre territoire, des ménagemens infinis. La correspondance