Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 19.djvu/954

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On croyait généralement à la prolongation de la paix, et la rupture des négociations a été une surprise. Mais ceux qui avaient suivi d’un œil attentif le développement des préparatifs militaires de part et d’autre ne partageaient pas cet optimisme. Malgré le vieil axiome qui dit : Si vis pacem, para bellum , il y a une manière de préparer la guerre qui ne peut conduire qu’à elle, et c’est bien celle que les Russes et les Japonais ont employée. Il est juste pourtant d’établir entre eux une différence. La Russie, tout en se disposant à la guerre pour le cas où elle deviendrait immédiatement inévitable, a fait tout ce qui dépendait d’elle pour y échapper. On ne saurait en dire autant du Japon. Le seul reproche qu’on puisse adresser au gouvernement russe, et le seul d’ailleurs que les Japonais lui aient adressé jusqu’ici, est d’avoir été très lent dans ses opérations diplomatiques. Il a mis six semaines pour répondre à l’avant-dernière note japonaise, et, au bout de trois semaines, il n’avait pas encore répondu à la dernière, malgré l’impatience croissante qui se manifestait à Tokio. Un peu plus de hâte aurait été certainement désirable : mais, si on songe à l’étendue et à la gravité des intérêts en cause, il était naturel et légitime que la Russie prît tout le temps qui lui paraîtrait nécessaire pour chercher à les concilier. Au surplus, on ne peut plus se faire d’illusion aujourd’hui sur la ferme résolution où étaient les Japonais de recourir aux armes. Les lenteurs de la diplomatie russe leur ont fourni un prétexte ; la raison sérieuse qui les a déterminés est ailleurs. Sinon, comment expliquer qu’ils aient rompu les négociations la veille du jour où la note devait leur être enfin remise ? Leur conduite ne comporte pas deux explications. Ils ont attendu tout le temps qui leur a été nécessaire pour réunir le maximum de leurs forces, mais pas un jour, pas une heure de plus : en quoi il faut constater en même temps leur esprit pratique et leur parfait dédain pour les formes diplomatiques. Ils en ont donné tout aussitôt une preuve nouvelle et encore plus décisive en commençant la guerre sans la déclarer. Une telle absence de préjugés dénote une absence de scrupules non moins grande. Nous ne savons pas encore si les Japonais sont appelés à faire faire de notables progrès à l’art militaire, mais ils ne paraissent pas devoir perfectionner le droit des gens.

La dernière note russe, n’ayant pas été remise à Tokio, ne sera peut-être jamais connue. Toutefois, si elle est conforme à ce que les bruits de Saint-Pétersbourg permettent de supposer, le gouvernement russe aurait sans doute intérêt à la publier : on verrait alors jusqu’où il avait poussé ses concessions. A tort ou à raison, l’opinion