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générale avait réduit la question pendante entre les deux pays à des élémens très simples. On croyait que les intérêts russes étant prépondérans en Mandchourie et les intérêts japonais en Corée, il n’était pas impossible de trouver un moyen d’entente. Les prétentions du Japon sur la Corée, si elles se bornaient là, pouvaient être admises, sauf à prendre quelques dispositions pour assurer, au Sud, la libre navigation des détroits. Nous avons dit, d’autre part, à maintes reprises, que la Russie, depuis qu’elle est à Port-Arthur et qu’elle en a fait un des points d’aboutissement de son chemin de fer, pouvait laisser au Japon une liberté d’action à peu près complète en Corée. Les bases d’un arrangement amiable semblaient donc, au premier abord, tout indiquées : la Mandchourie à la Russie, la Corée au Japon. Lorsqu’on a appris que celui-ci ne se contentait pas de cette solution et qu’il demandait en outre à la Russie de prendre envers lui certains engagemens relatifs à la Mandchourie, on a commencé par croire qu’il y avait là de sa part un jeu diplomatique dont le but était de rendre la Russie encore plus conciliante en Corée. Mais on n’a pas tardé à reconnaître qu’il avait des vues plus profondes.

La prodigieuse rapidité de sa croissance, le premier et heureux essai qu’il a fait de ses forces, enfin l’enivrement de ses faciles succès, lui ont fait croire qu’il avait une mission à remplir sur la race jaune tout entière. Après avoir vaincu la Chine, il l’a prise sous sa protection, et il espère bien communiquer un jour à cette masse énorme le mouvement et la vie dont il est lui-même animé. Parvenu le premier à ce qu’il juge être la plénitude de la civilisation occidentale, parce qu’il a appris à en manier les instrumens, il se propose, par une initiation dont il réglera et surveillera les développemens, d’en faire profiter les multitudes inertes qui fourmillent le long des grands fleuves asiatiques. C’est une immense conception, dans la poursuite de laquelle il pourrait bien, lui aussi, rencontrer des déboires. Quoi qu’il en soit, il s’est fait le tuteur de la Chine, incapable de se suffire à elle-même, et une de ses prétentions dans ses négociations avec la Russie a été d’obtenir d’elle l’engagement de respecter l’intégrité de la Chine et sa souveraineté en Mandchourie. Aussi, lorsque la Russie, croyant sans doute avec tout le monde que les préoccupations du Japon étaient toutes en Corée, s’est montrée disposée à lui faire là les plus larges concessions, le Japon a répondu que ces concessions allaient de soi ; qu’elles étaient d’ailleurs le renouvellement d’anciennes promesses, enfin qu’il les avait escomptées d’avance dans sa pensée et qu’il ne les considérait pas comme un avantage nouveau. Mais,