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jugé utile de dire dans un discours public que l’Angleterre remplirait éventuellement tous ses engagemens envers son allié. Cela allait de soi et personne n’en doutait ; mais était-il bien opportun de le déclarer à ce moment, et M. Balfour, en tenant ce langage, ne s’exposait-il pas à jeter d’avance de l’huile sur le foyer qui allait s’allumer ?

Cependant, rien ne permet de croire .que telle ait été son intention. Si l’attitude du gouvernement anglais a, dans cette circonstance, un peu manqué de réserve, elle a néanmoins été très correcte. L’Angleterre a donné de bons conseils à son allié ; seulement, en lui accordant son alliance, elle avait un peu affaibli d’avance l’efficacité de ses conseils. Il est impossible qu’un gouvernement aussi sensé, aussi avisé que celui du roi Edouard, n’ait pas envisagé avec quelque appréhension les éventualités diverses qui pouvaient sortir d’une guerre entre le Japon et la Russie ; mais, si le gouvernement a été presque toujours circonspect, il n’en est pas de même de l’opinion. A très peu d’exceptions près, les journaux anglais, — et ce sont les seuls qui l’aient fait avec cet ensemble et cette continuité, — ont prodigué au Japon de véritables excitations. Il était impossible de lui dire plus haut qu’il avait raison, qu’il était dans son droit, qu’il n’avait qu’à aller de l’avant, et que la justice de sa cause travaillerait pour lui. L’irresponsabilité de la presse s’est rarement exercée d’une manière plus dangereuse. L’opposition d’intérêts, la rivalité qui existe entre l’Angleterre et la Russie sur plusieurs points du monde sont l’origine probable de cet entraînement de l’opinion, entraînement funeste par ses conséquences. Pour des motifs contraires, la presse française devait avoir et avait effectivement des sympathies en faveur de la Russie : elle ne les a pourtant jamais exprimées dans des termes qui auraient pu porter celle-ci à repousser les prétentions du Japon dans ce qu’elles avaient de légitime, et elle s’est appliquée au contraire, en ménageant l’une et l’autre parties, à rechercher tout ce qui était propre à les concilier et à assurer par là le maintien de la paix. Certains journaux allemands en ont même pris prétexte pour nous accuser de tiédeur à l’égard de la Russie, et afficher à son égard des sentimens plus chaleureux. La presse américaine, à l’exemple de la presse britannique, s’est montrée extrêmement favorable au Japon : ceux qui voudront en connaître le motif, ou du moins un des motifs principaux, le trouveront dans un article de M. René Pinon qui paraît dans le présent numéro de la Revue. La préoccupation des États-Unis est surtout commerciale ; celle de l’Angleterre est à la fois commerciale et politique. Il semble que les déclarations formelles de la Russie au sujet