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hardiment la responsabilité par une provocation directe. Depuis que David a attaqué Goliath, on a vu quelquefois dans l’histoire les petits s’en prendre aux grands et aux forts et leur causer de graves désagrémens. Hier encore, le monde a assisté avec étonnement et admiration à une longue lutte entre l’Angleterre et le Transvaal, et si, le résultat en était dès le premier jour certain, il s’est fait attendre beaucoup plus longtemps que nul ne l’aurait cru. Mais ce sont là des exemples qu’il est d’autant plus périlleux de suivre que presque toujours ils finissent mal. Sans doute la disproportion des forces n’est pas aussi considérable entre le Japon et la Russie qu’elle l’était entre le Transvaal et l’Angleterre : elle est telle toutefois qu’elle aurait dû conseiller au gouvernement de Tokio une autre attitude.

D’où lui est venue son audace ? Le traité qu’il a conclu avec l’Angleterre au commencement de 1902 y a été certainement pour quelque chose. Il a singulièrement enflé le sentiment, déjà excessif peut-être, que le Japon avait de lui-même. Puisque l’Angleterre, qui n’a pas l’habitude de se lier avec une autre puissance, quelle qu’elle soit, par un traité en bonne et due forme, a passé outre à toutes ses traditions pour s’engager avec lui, le Japon a cru occuper dans le monde une situation exceptionnelle, déjà très grande et destinée à grandir encore, et nous ne disons pas qu’il se soit trompé complètement. Devenir l’allié de l’Angleterre, la nation maritime la plus puissante du monde et celle à laquelle il aime le mieux à se comparer, parce qu’il occupe un groupe d’îles à côté du continent asiatique comme l’Angleterre à côté du continent européen, c’était un rêve dont la réalisation soudaine était de nature à exalter une imagination déjà trop disposée à vagabonder dans des espaces infinis. Tout le monde, en Angleterre, n’a pas approuvé le traité avec le Japon. Quelques-uns de nos voisins, les plus prévoyans peut-être, se sont demandé s’il n’y avait pas là une imprudence commise, et si, pour obtenir un avantage dans le présent, on ne s’était pas exposé à compromettre l’avenir. La présomption des Japonais n’avait pas besoin d’être encouragée : cependant elle l’a été, et d’une manière très excitante, par la convention signée avec la Grande-Bretagne. Bien que celle-ci ne se soit engagée à intervenir en faveur de son allié que dans un cas déterminé et peu vraisemblable, le fait seul d’avoir traité avec lui et décidé que, dans certaines hypothèses, leurs forces auraient à collaborer à une œuvre commune, devait singulièrement accroître la confiance et les prétentions des Japonais. Pendant le cours des négociations qui viennent d’être si malheureusement rompues, M. Balfour, le chef du gouvernement britannique, a