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conditions ; Vatel fut loué de s’être tué parce que la marée n’arrivait pas : « — On dit, écrivait Mme de Sévigné, que c’était à force d’avoir de l’honneur à sa manière. » Il n’en était pas de même d’un autre sentiment qui remplit le théâtre de Corneille et dont il est continuellement question dans tous les écrits du temps. Le consentement général réservait aux gens de qualité le privilège d’avoir « de la gloire, » de « la belle, » de « la vraie, » celle qui « portait, selon la définition de Huet, à désirer les grandes choses. » La « vraie gloire, » que l’on distinguait avec soin de ce que nous appellerions la gloriole, était le sentiment aristocratique par excellence. Même parmi les auteurs des Portraits, tout le monde ne se permet pas de l’avoir.

Il y avait encore, dans cette brillante société, beaucoup de très honnêtes femmes, malgré le train licencieux que prenait la jeune Cour. Toutefois, il manquait à la vertu d’être suffisamment en honneur. Elle restait affaire de goût personnel ; la noblesse n’y attachait en général qu’une importance secondaire, et toute de convention. Les femmes « sages, » ou présumées telles, en recevaient des louanges dans les portraits dus à des plumes amies ; les autres n’en étaient pas plus mal vues, sauf par les jansénistes et autres « esprits chagrins. » La jeune comtesse de Fiesque, avec qui Mademoiselle s’était brouillée à Saint-Fargeau, avait une réputation bien établie de galanterie. L’auteur anonyme de son portrait y fait allusion et s’empresse d’ajouter : « — Véritablement cela ne lui fait point de tort. » Aucun tort en effet. Mademoiselle n’y pensa même pas, quand Mme de Fiesque vint lui demander pardon de ses impertinences : « — Elle se jeta à genoux devant moi ; je la relevai en l’embrassant ; elle pleura de joie. C’est une bonne femme, de ces esprits qui se laissent entraîner…, mais dont le fond est bon. »

Par un juste retour, les hommes parlaient fort librement des femmes ; on croirait entendre chanter des coqs. Un anonyme, qui « pourrait bien être le poète Racan[1], » se représente très laid, très bègue et très puant, très maussade par-dessus le marché et très menteur, et il poursuit : «… Je suis fort effronté parmi les femmes, et aussi entreprenant que si j’avais toute la bonne mine et tout l’agrément du monde pour me faire bien recevoir. Je m’en suis bien trouvé quelquefois, tel que vous me voyez… »

  1. C’est M. de Barthélémy, l’éditeur de la Galerie des Portraits, qui le dit. Honorat de Bueil, marquis de Racan, naquit en 1589 et mourut en 1670.