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Les habitués du Luxembourg regrettaient seulement que la conversation ne tournât pas plus souvent sur l’amour. Mademoiselle n’y mettait plus la même complaisance qu’à Saint-Fargeau. Nous avons vu que, dans la pratique, elle fermait les yeux ; cela simplifiait la vie. Dans la conversation, pour son plaisir, elle aimait mieux d’autres sujets ; celui-là lui devenait insupportable. « — L’on me fait la guerre, dit-elle dans son Portrait, que les vers que j’aime le moins sont ceux qui sont passionnés, car je n’ai pas l’âme tendre. » D’ailleurs, elle n’avait plus rien à dire sur l’amour. Elle venait de faire sa profession de foi dans une correspondance avec Mme de Motteville qui circulait manuscrites, en attendant mieux, et où on lisait : « Son commerce est honteux ; il est volage et inégal, sans foi et sans probité… C’est un impie ; il se moque du sacrement. » Le mariage ne raccommode rien : il donne tout à l’homme : « Tirons-nous de l’esclavage, s’écriait Mademoiselle ; qu’il y ait un coin du monde où l’on puisse dire que les femmes sont maîtresses d’elles-mêmes. »

On a le droit de mépriser l’amour et le mariage, à condition que ce ne soit pas seulement pour les autres. La jeunesse du Luxembourg savait à merveille, et c’est pourquoi elle protestait, que Mademoiselle recherchait avec une ardeur croissante cet « esclavage » contre lequel, de vive voix ou par écrit, elle appelait son sexe à la révolte. Les personnes de son intimité la voyaient se forger de pures imaginations sous l’empire d’une idée qui tournait à l’obsession, et croire ensuite que ces choses-là étaient réellement arrivées. Elle avait cru à des « empressemens » significatifs de la part du petit Monsieur, qui allait en épouser une autre. Après la restauration des Stuarts (avril 1660), elle crut, — le récit en est tout au long dans ses Mémoires, — que le roi Charles II, qu’elle avait refusé avec dédain lorsqu’il n’était qu’un pauvre prétendant, n’avait rien eu de plus pressé en montant sur le trône que de redemander sa main, et qu’elle avait répondu noblement : « Je ne le mérite pas, les ayant refusés pendant leur disgrâce… Il aurait toujours cela sur le cœur et je l’aurais sur le mien, et cela nous empêcherait d’être heureux. »

Cette belle réponse a été citée cent fois. On sait aujourd’hui par des documens anglais[1] que Mademoiselle n’eut jamais lieu

  1. Cf. Madame, Memoirs of Henrietta Duchess of Orleans, by Julia Cartwright (Londres, 1894).