Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/147

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la faire. Les avances, hélas ! étaient venues de son côté, et avaient été mal reçues : « Je désire beaucoup le mariage de Mademoiselle, écrivait lady Derby[1] à sa belle-sœur, Mme de la Trémouille, par qui passaient les « insinuations ; » mais le roi y a grande aversion, à cause du mépris qu’elle lui a montré. J’ai parlé d’elle au marquis d’Ormond, mais j’ai rencontré peu d’encouragement. » Autre lettre : « J’ai fait proposer Mademoiselle, et j’ai un peu d’espoir. Si le roi tient aux richesses, il ne peut pas en avoir plus qu’avec Mademoiselle… ; mais je crains qu’ayant été méprisé dans sa pauvreté, il ne soit peu disposé maintenant à envisager un pareil mariage. » Charles II ne voulut rien écouter ; il avait gardé rancune à sa cousine.

En revanche, il y a toute apparence qu’elle dit vrai[2], lorsqu’elle raconte que le vieux duc Charles III de Lorraine[3] l’avait demandée « à genoux » pour un jouvenceau de dix-huit ans, le prince Charles de Lorraine, son neveu, qui devint dans la suite l’un des meilleurs généraux de l’Autriche. Il s’agissait, bien entendu, d’une combinaison politique. Par malheur, le prince Charles avait une autre idée, plus de son âge. Il était fort amoureux de la fille aînée de Madame, Marguerite d’Orléans, qui le lui rendait de tout son cœur. La jeunesse du Luxembourg accusa la Grande Mademoiselle d’avoir fait manquer leur mariage par jalousie : « L’affaire avait été fort avancée, rapporte cette commère d’abbé de Choisy, mais la vieille Mademoiselle avait tant parlé et chuchoté, qu’elle avait tout rompu. Elle était au désespoir que ses sœurs cadettes, et gueuses au prix d’elle, se mariassent à sa barbe. » Marguerite d’Orléans en fit un mariage de dépit qui tourna très mal[4], et dont Mademoiselle ne profita même pas : par un retour singulier, du jour où il avait dépendu d’elle de l’épouser, elle n’avait plus eu que du mépris pour ce principicule « sans bastions[5]. » Ses caprices impatientaient le Roi, qui finit par prendre ses arrangemens avec la Lorraine sans plus s’occuper de sa cousine.

Louis XIV était dans les vieux principes monarchiques quant

  1. Lady Derby était une La Trémouille. La belle-sœur à qui sont adressées les lettres était la sœur de Turenne.
  2. Cf. les Mémoires de Montglat.
  3. Ou Charles IV ; il y a deux façons de compter les ducs de Lorraine.
  4. Voyez le très curieux volume de M. Rodocanachi : les Infortunes d’une petite-fille d’Henri IV. Le mariage avait eu lieu le 19 avril 1661
  5. Mémoires de Mademoiselle.