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surplus, de la Reine-mère, devenue prêcheuse avec l’âge, et de ces « dévots » groupés sous son égide, que Molière scandalisait par son impiété et qui trouvaient mauvais qu’un roi eût des maîtresses. La question était de savoir de quel côté se rangerait définitivement le maître. Pour l’instant, Louis XIV penchait très fort vers les amis de la bonne nature et de sa joyeuse liberté. Leur serait-il acquis ? La logique des choses, et des idées, le conduirait-elle ensuite à secouer la gêne des pratiques religieuses, puis celle des croyances, à la façon des Hugues de Lionne, des Bussy-Rabutin, des Guiche, des Roquelaure, des Vardes et de cent autres « libertins, » qui ne voyaient dans la religion qu’une collection de simagrées ? Voilà ce qu’on avait le droit de se demander en 1662, et cela était autrement intéressant que la chronique du Luxembourg ou de Saint-Fargeau.

La jeune reine était inquiète ; elle flairait un danger, mais elle ne savait que gémir et pleurer, sans comprendre que des yeux rouges et un ton grognon ne sont pas ce qu’il faut pour retenir un jeune mari. Elle n’avait même pas la consolation d’être plainte, ne s’étant point fait d’autre amie en France qu’Anne d’Autriche, qui s’efforçait maternellement de lui conserver quelques illusions, à défaut de mieux, sur la mélancolie de sa destinée. Il était pourtant impossible d’être meilleure créature que cette petite reine fraîche et joufflue, qui sautait de joie le lendemain de son mariage et racontait ingénument à Mme de Motteville son petit roman.

Marie-Thérèse s’était toujours souvenue que sa mère[1], morte quand elle avait six ans, lui répétait qu’elle voulait la voir reine de France, — le bonheur n’était que là, — ou alors dans un couvent. La petite princesse avait grandi avec cette pensée de la France. Louis XIV avait été le prince Charmant de ses rêves d’infante. Quand elle avait su qu’un seigneur français venait « en poste » la demander de la part de son maître, la chose lui avait paru toute naturelle. Elle avait guetté d’une fenêtre l’arrivée de M. de Gramont[2]. Il était passé très vite, suivi de beaucoup d’autres Français brodés d’or et d’argent et couverts de

  1. Elisabeth de France, fille d’Henri IV. Née en 1602, elle épousa Philippe IV en 1615, eut Marie-Thérèse en 1638, et mourut en 1644.
  2. C’était le maréchal de Gramont, père du comte de Guiche. La « magnificence » et la « galanterie » de sa course à Madrid pour demander l’infante avaient laissé de vifs souvenirs.