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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/155

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plumes et de rubans de toutes les couleurs. On aurait dit « un parterre de fleurs… courant la poste, » racontait la jeune reine, devenue poète pour la première et la dernière fois de sa vie.

Mariée, Marie-Thérèse avait demandé à son époux la promesse qu’ils ne se quitteraient jamais, ni jour ni nuit, dans la mesure du possible. Louis XIV promit, tint parole, et ce fut la précaution inutile. D’après Mme de Motteville et Mme de Maintenon[1], la Reine ne sut pas s’y prendre. Sa dévotion était « mal entendue ; » si le Roi la demandait, elle refusait de lui sacrifier une oraison. Elle avait aussi une jalousie « mal entendue ; » si le Roi ne la demandait pas, elle ne distinguait pas assez, dans ses plaintes contre ceux qui le lui enlevaient, entre Mlle de La Vallière et le Conseil des ministres. Son humeur était décourageante. Si le Roi l’emmenait, elle se plaignait de tout. S’il ne l’emmenait pas, c’étaient des flots de larmes. Si le dîner n’était pas à son goût, elle était maussade. S’il lui plaisait, elle se tourmentait : — « On mangera tout ; l’on ne me laissera rien. » — « Et le Roi s’en moquait, » ajoute Mademoiselle, amenée par sa naissance à se trouver souvent parmi ceux qui « mangeaient tout. » Marie-Thérèse était bonne, généreuse, la vertu même, elle avait une violente passion pour son mari, et, avec tout cela, elle était à fuir. Mme de Maintenon résumait la situation en disant que la Reine savait aimer et ne savait pas plaire, au rebours du Roi, qui avait tout pour plaire, « sans être capable d’aimer beaucoup. Presque toutes les femmes lui avaient plu, excepté la sienne. » Libertins et débauchés n’avaient pas à compter avec Marie-Thérèse ; la Reine n’avait pas l’ombre d’influence sur le Roi.

Pour des raisons différentes, ce n’était pas non plus Monsieur, frère du Roi, ni la femme de Monsieur, qui leur feraient obstacle. Tout a été dit sur les puissances de séduction de Mme Henriette d’Angleterre[2], sur ses grâces irrésistibles, sa beauté immatérielle et le charme particulier, très original chez une grande princesse, que lui avait valu son enfance pauvre et humiliée ; réduite à vivre en « personne privée, » elle avait « pris

  1. Souvenirs de Madame de Caylus. — Souvenirs sur Madame de Maintenon. — Mémoires de Mme de Motteville. — Les Cahiers de Mademoiselle d’Aumale, publiés par le comte d’Haussonville et M. G. Hanotaux.
  2. Mariée le 1er avril 1661, à dix-sept ans. Monsieur (Philippe de France, duc d’Orléans) en avait vingt et un.