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LA GRANDE-BRETAGNE
ET LA
SUPRÉMATIE MARITIME

Il y a environ vingt ans, vers 1884, la nation anglaise eut tout à coup le sentiment qu’elle courait un grand danger, qu’elle n’était plus en sûreté derrière le ruban d’argent qui la séparait du continent. Endormie dans un sentiment habituel de sécurité, absorbée par les préoccupations de politique intérieure, tenue dans une sorte d’enchantement par son grand ministre Gladstone, qui démocratisait l’école, l’armée et le Parlement, elle ne suivait depuis longtemps que d’un regard distrait les progrès que faisaient des nations voisines dans l’art des constructions maritimes. Cet empire de la mer qu’elle avait disputé avec tant d’âpreté à la France des rois et à la France de Bonaparte, qu’elle avait définitivement conquis à Trafalgar, on lui montra subitement qu’elle n’en avait plus que l’ombre, que ses escadres n’étaient plus en état de défendre ses colonies, de protéger son commerce, d’assurer son existence même contre un coup d’audace imprévu. L’ancienne marine de la voile et du bois qui lui avait valu tant de triomphes et la domination sur l’Océan n’existait plus. La nouvelle naissait à peine, et voici qu’en France, en Allemagne, en Russie, l’esprit d’invention se montrait plus avisé, plus aigu, plus prompt que dans la vieille Angleterre. Si la nation ne sortait de sa torpeur et, par un éclat d’indignation, ne rappelait à son devoir un gouvernement imprévoyant ou aveugle, c’en était fait de l’antique suprématie maritime de la Grande Bretagne.