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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/179

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bouleversa des traditions séculaires. Elle se heurta à de très vives résistances, aussi respectables qu’inutiles. Sir George Cockburn était premier lord naval dans le grand ministère de Peel en 1841. Il signa à cette époque un écrit des lords de l’Amirauté, où il était déclaré que lesdits lords « considéraient comme leur devoir, pour maintes raisons nationales et professionnelles, de décourager, dans la mesure de leurs forces, l’emploi de navires à vapeur, et d’affirmer leur conviction que l’introduction de la vapeur dans la marine ne pouvait que porter un coup fatal à la suprématie maritime de l’Empire. » On vit une fois de plus comme la force des choses se joue des vues bornées des hommes réputés les plus éminens.

Pendant la guerre de Crimée, l’Amirauté envoya encore un grand nombre de voiliers dans la Mer-Noire, mais déjà la vapeur triomphait. Le 23 avril 1856, après la guerre, la reine passa une grande revue navale, où figurèrent plus de deux cents navires (dont 160 gunboats ou canonnières), à peu près tous à vapeur. Un des traits particuliers de ce déploiement de force navale fut la présence de quatre coques basses, plates, noires, informes, les batteries flottantes cuirassées Trusty, Glatton, Thunder et Meteor. Il ne pouvait venir à l’idée de personne que ces bateaux lourds et disgracieux annonçaient la condamnation prochaine et irrévocable des magnifiques bâtimens qui les entouraient.

Trois ans plus tard, firent leur apparition les deux premiers navires cuirassés anglais de haut bord, le Warrior et le Black Prince. Les péripéties de la guerre civile aux Etats-Unis popularisèrent cette nouvelle invention de la cuirasse. L’imagination resta longtemps frappée de récits de combats dont le duel du Merrimac et du Monitor avait été le prototype, et dont l’amiral Farragut fut le héros. L’Angleterre s’abandonna au courant de l’opinion et l’Amirauté se décida, quoique sans enthousiasme, à construire une flotte cuirassée.

Les résultats de ce travail, après un nouveau quart de siècle, étaient assez médiocres, autant que l’on en peut juger par le peu qui subsiste aujourd’hui de la marine de guerre britannique de cette époque : une quinzaine de cuirassés, cinq gardes-côtes et une demi-douzaine de croiseurs ancien modèle. Ces bâtimens étaient en fer. Il y avait en construction quelques bâtimens en acier. On lança, en 1884, les deux premiers croiseurs cuirassés de plus de 8 000 tonnes. Les survivans de ces navires servent de