croisière pouvait être déjouée, l’Angleterre pouvait accorder des sauf-conduits. Suprême espérance enfin, où l’Empereur s’obstinait contre toute raison : le gouvernement, contraint par les circonstances, un soulèvement du peuple, un tumulte militaire, n’allait-il point le rappeler à la tête de l’armée ? Si rien de tout cela n’arrivait, il serait toujours temps de s’échapper par la Gironde. Et si même il était trop tard, resterait la ressource de demander asile à l’Angleterre[1]. Napoléon avait conçu ce projet dès le jour de l’abdication ; il y trouvait « de la grandeur. » A l’Elysée et à la Malmaison, il s’en était ouvert à Hortense, à Bassano, à Lavalette, à Carnot ; en passant à Niort, il avait demandé les moyens de l’exécuter, le cas échéant. C’était une obsession. Il la repoussait sans cesse ; sans cesse elle revenait troubler, dominer sa pensée.
Les journées des 5, 6 et 7 juillet se passèrent dans l’attente. Aucune nouvelle de Paris, le vent continuant de souffler faiblement du large, la croisière toujours en vue. Une nouvelle
- ↑ Dès l’île d’Elbe, l’Empereur avait dit au commissaire anglais Campbell que peut-être il irait finir ses jours en Angleterre, et lui avait demandé s’il ne serait pas lapidé par la populace de Londres.
Il y a aux Archives des Affaires étrangères (vol. 1802) une lettre de Londres que peut-être Napoléon ne lut pas, mais que, peut-être aussi, il put lire, et qui était de nature à influer sur sa détermination. Cette lettre, datée du 16 juin 1815, ne porte point de signature ; elle est adressée à une dame de l’intimité de l’Empereur, et même, apparemment, de sa famille, peut-être à la princesse Hortense. En voici les passages essentiels :
« Madame, votre silence semble assez m’indiquer que la vérité vous déplaît et que vous suspectez ma véracité. N’importe ! Je connais l’étendue de mes devoirs envers vous et votre famille. Je les remplirai. Avant-hier, j’ai appris que la réunion de personnes diverses par leur rang, mais réunies par leur grand caractère et leurs lumières, avaient été d’opinion que si l’empereur Napoléon demandait l’hospitalité en Angleterre, elle lui serait accordée ; que dès lors sa personne y serait sacrée ; que, relativement au séjour plus ou moins éloigné de la capitale, il y aurait peut-être les mêmes arrangemens que ceux pris lors du débarquement de Louis XVIII en Angleterre. Vous allez, Madame, ou, pour mieux dire, vous avez déjà taxé mes sollicitations prévoyantes de pusillanimité. Je n’en tiens pas moins à mon système. L’Angleterre est la plus puissante ennemie du présent monarque français, mais ce pays est le seul port sûr et hospitalier pour le prince malheureux. Si tout était perdu pour vous, et si vous adoptiez la résolution de paraître en Angleterre, il serait instant qu’une dépêche ou une simple lettre fût adressée d’avance, de la manière la plus secrète au principal ministre, le secrétaire d’État aux Affaires étrangères, à Londres, et qu’elle lui fût remise en personne, sans formes et démarches préliminaires… »
Je répète qu’il est possible que Napoléon n’ait pas eu connaissance de cette lettre, que peut-être même la destinataire ne fait point reçue. Je trouve cependant que cette lettre a un rapport au moins singulier avec les instructions secrètes de Napoléon à Gourgaud, du 14 juillet, que je citerai plus loin.