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son existence même, étaient menacés ; qu’il fallait sans retard adopter les mesures nécessaires pour que la marine reconquît sa position historique de « maîtresse des mers. »

Lord Northbrook, premier lord de l’Amirauté, partageait les vues de Gladstone sur la politique générale et n’accordait à son propre département qu’une influence secondaire sur la marche des affaires. Le cabinet affecta de trouver ridicules les craintes de l’opinion. Mais celle-ci tint bon contre les sarcasmes officiels, l’émotion gagna le Parlement, et le gouvernement dut céder. Il proposa un programme d’accroissement des forces navales, que le Parlement vota presque sans débat[1].

Les craintes s’apaisèrent alors, et l’attention publique se porta sur d’autres sujets, notamment sur le Home Rule, qui amena la chute de Gladstone et la scission du parti libéral. L’Amirauté, après avoir donné satisfaction aux patriotes effarés qui voyaient déjà l’empire de la mer arraché à la Grande-Bretagne", ne poursuivit pas avec une vigueur soutenue l’exécution du programme présenté par lord Northbrook. Une demi-douzaine de marins veillaient, mais le rôle de Cassandre auquel ils se résignèrent les exposa à de pénibles avanies, et les agitateurs qui s’étaient mis à leur suite passèrent pour des alarmistes de parti pris ; l’optimisme officiel, qui avait repris le dessus, put durant quelque temps bafouer à son aise les « marchands de panique. »

Cependant les nations voisines ne s’arrêtaient point dans leurs progrès maritimes. En France, après le Formidable, de 12 165 tonnes, les chantiers mirent à l’eau le Hoche en 1886, le Marceau et le Neptune en 1887, beaux navires de 10900 tonnes, puissamment cuirassés et armés, avec une force de propulsion donnant une vitesse de 17 nœuds. Dans les bureaux étaient étudiés les plans du premier croiseur cuirassé de 20 nœuds : le Dupuy-de-Lôme. On construisait en outre toute une flottille de

  1. C’est au programme Northbrook que se rattache la construction des dernières unités de la classe Admiral, groupe homogène, composé de six cuirassés, déplaçant 10 630 tonnes et ayant une vitesse de 17 1/2 nœuds. Tout avait été subordonné dans ces navires à la vitesse ; leurs flancs n’étaient pas cuirassés ; la batterie, les tourelles, étaient seules munies d’un épais revêtement métallique. Le programme produisit encore le Sans-Pareil de 10 500 tonnes, le Trafalgar et le Nil de 12 400 tonnes, tous trois très fortement cuirassés, lancés en 1887-1888. Il dota en outre la marine d’un premier groupe compact, homogène, de croiseurs cuirassés, sept bâtimens de 5 600 tonnes, d’une vitesse de 18 1/2 à 19 1/2 nœuds, protégés par une cuirasse de 25 centimètres, et composant la classe Orlando. A la même époque, l’Amirauté commença à construire des torpilleurs de haute mer.