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été construits depuis 1886, et représentaient une valeur d’environ 550 millions de francs. Cette flotte était montée par 38 000 hommes, officiers et équipages.

Les principales unités étaient les cuirassés de la classe Royal Sovereign, ceux de la classe Majestic et les deux puissans croiseurs protégés, Powerful et Terrible. Lord George Hamilton et lord Spencer, qui de 1888 à 1895 avaient occupé le poste de premier lord de l’Amirauté, assistaient tous deux à la revue avec M. Goschen, leur successeur en exercice, et sir William White, le constructeur des grandes unités. Ce fut, de l’aveu de tous ceux qui l’ont contemplé, un magnifique spectacle. Le secret de la puissance britannique se trouvait là étalé au grand jour, sous les yeux des délégués de toutes les colonies, des visiteurs étrangers, des représentans des grandes nations du monde. Jamais une force navale semblable n’avait été assemblée en un même point. Depuis la revue du 26 juin 1897, il n’y a plus eu en Angleterre le moindre désaccord entre le gouvernement et l’opinion publique sur la question d’opportunité des sacrifices à faire aux impérieuses exigences de la sécurité nationale. Il ne s’agissait même plus de la conservation de l’empire des mers considérée comme la condition essentielle du maintien de l’Angleterre au rang des grandes puissances du monde. C’était désormais une simple question de vie ou de mort. La suprématie maritime devait être conservée, de quelque prix qu’il fallût la payer, parce que chacun avait le sentiment très clair que pas un des élémens de la puissance, même de la cohésion nationale, ne survivrait vingt-quatre heures à la perte de cette suprématie. Une défaite navale, enlevant à l’Angleterre la possession de l’Océan, c’était l’orgueil britannique brisé, à l’intérieur, la famine et la révolte de la population industrielle, au dehors, la rupture du lien de l’intérêt si étroitement tissé avec les sentimens d’affection entre les colonies et la mère patrie, la perte de l’Inde et de toutes les dépendances orientales, c’était enfin le territoire des Iles Britanniques ouvert à l’invasion, la capitulation forcée.

Dès lors, plus d’incertitude sur le sort des demandes de crédits à adresser par l’Amirauté au Parlement ; une seule limite à l’accroissement annuel des dépenses navales : la capacité de production des chantiers pour les coques de navires, des usines pour la fabrication des plaques de protection, des ateliers pour