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crédits de 32 millions de livres sterling (800 millions de francs) demandés pour 1903 au compte du budget de la guerre. Ce plan supposait la constitution d’une armée régulière de 300 000 hommes et un budget de dépenses plus énorme que ceux de la France ou de l’Allemagne. Il causa une véritable stupeur. L’opinion publique et le Parlement lui firent le plus mauvais accueil.

Quelques jours avant l’exposé de M. Brodrick, lord Selborne, chef de l’Amirauté, avait déclaré qu’à son avis, la défense nationale reposait avant tout sur la marine ; que, si quelque jour une tentative d’invasion du territoire britannique réussissait à tromper la vigilance de la flotte, elle devrait être repoussée par une armée de citoyens, convenablement organisée et équipée, mais complètement distincte d’une armée régulière très réduite, dont la seule tâche serait la défense éventuelle des frontières que la marine ne peut atteindre. C’était la condamnation anticipée de l’œuvre préparée en collaboration par M. Brodrick et par le commandant en chef, lord Roberts.

Ainsi, sur cette question de la dépendance réciproque des forces de terre et de mer, se révélaient dans le cabinet Balfour des divergences de vues aussi tranchées que celles dont ce gouvernement a donné tout récemment et donne encore le singulier spectacle touchant la question du régime douanier. Le secrétaire de la guerre et le chef de l’Amirauté ne tenaient pas le même langage. Leurs argumens étaient en désaccord. Le second déclarait que la marine était en état de protéger tout l’empire, le premier, qu’il fallait organiser une armée très forte pour défendre le territoire contre l’invasion « si nous venions à perdre le commandement de la mer. » « Le gouvernement, s’écria M. Gibson Bowles le 23 mars, a donc perdu confiance dans la marine ! »

Des débats qui s’engagèrent aux Communes sur le budget de l’armée, il sortit cette conclusion que si la charge de 70 millions de livres sterling pour la défense (38 pour la marine, 32 pour l’armée) paraissait décidément trop forte[1], le Parlement devait sans hésiter réduire les crédits pour l’armée et non ceux pour la marine. L’Angleterre ne peut empêcher les puissances étrangères d’accroître leurs flottes ; mais comme la suprématie

  1. En juillet dernier encore, un membre de la Chambre des communes, M. E. Robertson, dit, au cours d’un débat sur les Navy Estimates, qu’il était à craindre que de tels chiffres ne provoquassent quelque jour un revirement (revulsion) du sentiment public, revirement qui serait un grand malheur.