Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/22

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

me trouverai en mesure de m’embarquer si les vents veulent tant soit peu favoriser leur sortie. »

A quatre heures après midi, Napoléon, avec toute sa suite, quitta Rochefort au bruit des acclamations. Les voitures filèrent par la route de la Rochelle jusqu’à l’embranchement du chemin de Fouras. A Fouras, les canots du port de Rochefort et des deux frégates attendaient dans la rade de la Coue. L’embarquement se fit « à des d’homme, » car il n’y avait pas assez d’eau pour que les chaloupes pussent accoster le rivage. Cette scène avait attiré toute la population de Fouras, pêcheurs et vieux marins. Ils personnifiaient en Napoléon la guerre contre l’Anglais, ennemi séculaire, tyran de la mer. « Nous pleurions comme des filles, » contait plus tard l’un d’entre eux. Quand, sur le canot où Napoléon avait pris place, les avirons s’abaissèrent, un grand cri désespéré de : Vive l’Empereur ! couvrant le mugissement des vagues, s’éleva soudain de cette foule que jusqu’alors la stupeur et l’émotion avaient rendue muette. La mer était forte, un vent violent soufflait du large. Au lieu d’atterrir à l’île d’Aix, comme il l’avait résolu à Rochefort, l’Empereur ordonna d’aborder tout de suite les frégates. On en a conclu que, voyant l’état de la mer, il espérait que les vents tourneraient et qu’on pourrait appareiller la nuit même. La traversée fut lente. Les lames ramenaient sans cesse les embarcations à la côte ; une des chaloupes faillit chavirer. Au bout d’une heure et demie, on atteignit les frégates qui étaient mouillées dans « la fosse d’Enet, » au nord de la pointe de l’Eguille. L’Empereur fut reçu à bord de la Saale avec les honneurs militaires, mais sans les salves d’usage, car il avait fait défense de les tirer.

Le lendemain, le vent étant tombé, l’Empereur voulut visiter l’île d’Aix. Deux canots de la Saale l’y débarquèrent avec Gourgaud, Beker, Las Cases et plusieurs officiers. C’était un dimanche. Le 14e régiment de marine, nouvellement formé avec des équipages, était sous les armes pour une revue d’inspection. Presque tous les habitans se pressaient alentour. Bien que Napoléon portât l’habit civil qu’il avait révolu en quittant la Malmaison, il fut vite reconnu. Matelots et peuple l’acclamèrent. Aux « Vive l’Empereur ! » se mêlaient les cris plus significatifs : « A l’armée de la Loire ! » Il passa à pas lents sur le front du régiment. Devant la compagnie de grenadiers, il invita le capitaine à commander le maniement d’armes. On pense si les