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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/243

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ou simplement à des entreprises gigantesques, mais réalisables. Il est vrai que les mêmes moyens sont à la portée de tous : on assisterait vraisemblablement à des heurts formidables et comme en n’en a pas encore vu, si l’expérience des vieilles nations n’apportait pas un élément modérateur au milieu du conflit des passions et des appétits déchaînés.

N’importe : les mots de paix perpétuelle et de désarmement sonnent aujourd’hui bien faux aux oreilles : nous ne disons rien de l’arbitrage, qui est chose respectable pourvu qu’on n’en abuse pas et qu’on n’y voie pas une panacée anti-belliqueuse. La seule garantie de la paix est la force accumulée des grandes et vieilles puissances dont nous venons de parler. Le jour où elles seraient faibles, ou seulement où on les croirait telles, serait celui où de hardis chasseurs sonneraient contre elles un hallali féroce. Il a suffi que le Japon se crût plus fort que la Russie sur un point déterminé du monde pour qu’il se jetât à sa gorge, c’est-à-dire se précipitât sur Port-Arthur. Une première fois les Russes ont été surpris et ils ont éprouvé quelques pertes ; mais la seconde, qui était hier, ils ont repris leurs avantages et ils ont fait expier à l’assaillant son audace. Cette audace est grande ; elle ne recule devant rien ; elle récidivera.

Il y a là un avertissement pour tous ceux qui ont des possessions disséminées à travers le monde. Si les Japonais l’emportaient, la guerre serait bientôt partout. En attendant, nous assistons en Europe à un spectacle assez étrange. Les grandes puissances, se sentant fortes, s’abstiennent de tout mouvement où l’on pourrait voir de leur part une menace ; mais les autres, celles qui se rendent compte de leur faiblesse ou qui l’ont récemment éprouvée, croient devoir prendre des précautions militaires. L’Espagne en prend. Le Danemark aussi. La Suède également. On se demande pourquoi, nous n’osons pas dire contre qui, car ces pays n’ont pas d’ennemi connu. Néanmoins ils se défient de ce qui peut arriver. Ils seraient d’ailleurs eux-mêmes bien empêchés de le définir : seulement, quidquid delirant reges plectuntur Achivi, il n’y a pas de sécurité pour les faibles quand les forts perdent la tête. La morale d’Horace est encore de saison. Mais cette impressionnabilité générale, qui est à notre sens tout à fait hors de rapport avec les dangers immédiats de la situation, est plutôt de nature à augmenter le trouble des esprits qu’à y ramener le sang-froid.

On ne se contente pas de craindre le contre-coup des événemens d’Extrême-Orient ; on se préoccupe aussi de ceux qui peuvent se produire dans l’Orient balkanique, et c’est même sans doute à cela que