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question, sauf à la reprendre plus tard s’il y a lieu ? Ont-ils jugé conforme à leurs intérêts éventuels d’avoir ainsi une question pendante en Mandchourie, se réservant d’en tirer par la suite toute conclusion utile ? Nous l’ignorons, bien entendu, et nous craindrions, en insistant, de dire quelque chose d’excessif. Faut-il croire que, si les États-Unis ont pris cette attitude, ce n’est pas dans une intention tout à fait bienveillante à l’égard de la Russie ; et alors se rappeler qu’ils ont été, avec l’Angleterre, les deux grandes puissances où l’opinion s’est montrée, avant l’ouverture des hostilités, le plus bruyamment favorable aux revendications japonaises ? Si le Japon a fait la guerre, les encourage mens de la presse britannique et de la presse américaine y ont sans doute été pour quelque chose. Mais, depuis, le ton a changé. La presse, à l’exemple du gouvernement, pratique la neutralité, ou du moins y tâche. La correction du gouvernement anglais est parfaite ; et certes le petit incident relatif à la création des consulats en Mandchourie, quelque imprévu qu’il soit en ce moment et quelque inopportun qu’il apparaisse, ne porte pas atteinte à celle du gouvernement des États-Unis qui vient de s’affirmer une fois de plus dans la déclaration du Président Roosevelt. Il y a pourtant là un indice à relever. Qu’on relise l’article de M. René Pinon que la Revue a publié dans son dernier numéro : nous l’avons déjà signalé à nos lecteurs parce qu’il nous dispense de dire nous-même beaucoup de choses qui y ont été bien dites. L’Océan Pacifique est dès maintenant en butte à des ambitions diverses qui s’en disputent l’empire, ou veulent du moins s’y faire une large place. Les ambitions grandissent terriblement vite aujourd’hui : celle du Japon en est la preuve éclatante. Les nations les plus jeunes sont les plus impatientes. Leurs premiers succès militaires sont à leurs yeux la promesse des plus grandes destinées. L’exubérance de vie qui est en elles se répand ou cherche à se répandre sur tous les chemins du monde. Elles sont pressées de réaliser. Il y a quelques années à peine que les États-Unis, vainqueurs de l’Espagne, occupent les Philippines, et ils ont déjà des vues sur l’Asie. Ils montrent une inclination sensible pour le Japon, hier vainqueur de la Chine et qui aspire à être demain vainqueur de la Russie. On est effrayé, lorsqu’on jette les yeux sur l’histoire de ces dernières années, de voir avec quelle rapidité de vertige le monde se transforme et évolue. Des acteurs nouveaux apparaissent sur la scène avec des prétentions et des appétits démesurés, ou qui auraient paru tels autrefois. Aujourd’hui les moyens d’action sont devenus eux-mêmes tellement puissans qu’on ne sait plus si on a affaire à des rêves