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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/251

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s’informa de sa famille : « Êtes-vous venu seul à Rome, monsieur ? — Non, Très-Saint-Père, j’ai amené ma femme. — Et pourquoi n’est-elle pas venue avec vous ? — Très-Saint-Père, elle n’a pas osé et elle n’avait pas le costume exigé. Elle m’attend en bas dans ma voiture. — Je veux la bénir ; il faut qu’on aille la chercher. » Le camérier fut sonné, il reçut les ordres en conséquence et la bonne dame, tout émue de son bonheur inattendu entra sans la robe noire et la mantille obligatoires. C’était une de ces familiarités à la Pie IX dont Léon XIII n’était pas coutumier. Le député en fut bouleversé. « Quel homme ! quel homme ! répétait-il. Il m’a dit qu’il n’était pas contre la République et qu’il fallait seulement l’améliorer ! Il a voulu voir ma femme ! Ah ! Waldeck n’a qu’à se bien tenir ; nous allons le f… en bas ! » Waldeck ne tomba point, mais le député était sincère. Le charme de Léon XIII avait opéré sur lui comme il opérait même sur les réfractaires dont les plus endurcis sortaient de sa présence absolument conquis à sa personne et réduits à distinguer entre lui et son ministre. « Ah ! sans ce Rampolla ! »

Le dernier homme politique qu’il reçut fut M. Méline. Ce fut une faveur exceptionnelle. M. Méline avait dîné chez le roi à l’occasion du congrès d’agriculture, mais il se rendit du Quirinal au Vatican en passant par Naples, et Léon XIII ignora volontairement la première station du voyage. L’ancien ministre fut aussi frappé de l’intégrité de ses facultés intellectuelles qu’ému de sa bonté. Rien n’indiquait encore une fin prochaine et l’on attribuait au dernier survivant du Conclave qui l’avait élu le mot suivant : « Nous avions bien cru faire le Saint-Père, mais c’est vraiment le Père éternel que nous avons nommé. »

Cette longévité pesait à plusieurs, qui la trouvaient pour ainsi dire affectée et de mauvais goût, et ils ne dissimulaient pas assez leur impatience de la voir finir. Comme on croit facilement ce qu’on désire, ils répandaient périodiquement des bruits sinistres qui faisaient leur chemin dans le monde et l’alarmaient sans raison. « Le Pape a eu hier un long évanouissement. — Le docteur Lapponi a été appelé à une heure du matin et le Vatican est très inquiet, quoiqu’il dissimule. — Le Pape ne digère plus. — Le Pape souffre d’une grave maladie d’entrailles. — Le Pape vient de mourir subitement. » Tel était le thème ordinaire de ces nouvellistes qui, dans les dernières années de son règne, tuaient Léon XIII tous les deux ou trois mois. Il y a une quinzaine