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monte chez le cardinal Rampolla, dont l’antichambre était déserte. Il vient à moi avec l’air triste et préoccupé. « Depuis quelque temps, me dit-il, le Saint-Père était fatigué et ne se ménageait pas assez. Hier vendredi, il a reçu un pèlerinage hongrois et s’est trouvé, ensuite, fort indisposé. Le soir, le docteur Lapponi a constaté un engorgement du poumon droit. C’est le commencement de ce que les médecins appellent une pulmonite sénile. Il était fort inquiet et a passé la nuit au Vatican. Aujourd’hui, il a constaté une certaine amélioration ; le Pape ne tousse pas et n’a pas de fièvre, il a dormi pendant trois heures et nous sommes un peu rassurés. » Je redescends vers les appartemens du Saint-Père. Tout est silence et solitude. Il y a pourtant cinq ou six scopatori qui veillent dans leur grande salle mal éclairée. Ils vont chercher Centra, qui me donne les mêmes renseignemens que le cardinal, et qui ne paraît pas croire à l’imminence du danger.

Centra était le premier aiutante di camera ou le premier valet de chambre du Pape, fonction qui, jusqu’au règne de Pie IX, faisait de son titulaire un personnage considérable, peu occupé matériellement et très courtisé par tous ceux qui voulaient arriver jusqu’au Pontife. L’aiutante di camera de Grégoire XVI, Moroni, trouva moyen de compiler, tout en faisant son service, un dictionnaire ecclésiastique en cent trois volumes qui a conservé quelque valeur et qu’il écrivit en collaboration avec son maître, auquel il soumettait les principaux articles. Centra, lui, n’est point un homme de lettres, quoiqu’il eût fait de bonnes études classiques jusqu’à la rhétorique ; mais, pendant vingt-cinq ans, il s’est montré le type du serviteur dévoué, intelligent et discret. Léon XIII, qui n’aimait pas à disperser sa confiance, la lui donna tout entière et n’admettait guère d’autres soins que les siens. Il entrait tous les matins dans sa chambre de très bonne heure, l’aidait à s’habiller, le rasait, lui répondait la messe et le servait à table où Léon XIII mangeait toujours seul et à des heures irrégulières. Après l’aiutante di camera, se présentait chaque matin le secrétaire, Mgr Angeli, chargé seul de dépouiller l’immense correspondance qui arrivait au Pontife de tous les points du monde. Il était attaché depuis l’âge de treize ans à la personne du Pape, qui le tutoyait, lui avait conféré de sa main tous les ordres, depuis la tonsure jusqu’au sacerdoce, et le traitait comme un de ces enfans qu’on ménage d’autant moins qu’on peut