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pour le chapeau : « C’est le consistoire pour votre ami Taliani qui m’a mis dans cet état et vous oblige à travailler de nouveau sur mon corps ! »

Il ne connaissait point le docteur Rossoni, qui lui fut présenté par ses confrères le jeudi 8 juillet. L’illustre professeur sortit tout ému de cette première consultation. « Je croyais, a-t-il déclaré, arriver auprès d’un moribond sans souffle, sans parole et sans connaissance, et j’ai trouvé un souverain en pleine possession de toutes ses facultés, à l’œil vif, à l’esprit très présent, à la mémoire prodigieuse, qui m’a accordé une audience en forme avant de se souvenir qu’il était malade et qu’il avait besoin de mes soins. »

Un journaliste qui avait recueilli les impressions, du docteur comparait Léon XIII à un vieil amandier qu’on remarque sur une promenade voisine de Rome, aux Parioli : « Les racines arides se montrent à nu entre la roche et le sol poudreux, le tronc est tout fendillé, les branches ressemblent à des baguettes carbonisées, excepté une seule qui monte encore tout droit vers le ciel et qui, au printemps, apparaît toute blanche de fleurs plus belles et plus parfumées que celles de tous les amandiers voisins. Ainsi l’âme de Léon XIII, dominant son corps usé, conserve toute sa vigueur comme la haute branche qui se pare encore de fleurs et de feuillages. »

Quelquefois cependant la lucidité d’esprit du malade s’altérait sous l’influence de la fièvre, mais son délire même avait de la noblesse et participait à l’élévation habituelle de sa pensée. Au milieu d’une nuit, il se mit à haranguer des pèlerins imaginaires, mêlant l’italien, le français et le latin dans un discours confus où l’on distinguait ces mots : « Paix ! union ! Je vous bénis ! » Après quoi il ajouta : « J’espère qu’ils s’en vont tous contens. » Une autre fois il se croyait au consistoire et il exhortait le Sacré-Collège à tenir ferme au milieu des épreuves de l’Eglise.

S’il pensait aux cardinaux, les cardinaux pensaient à lui. Ils venaient assidûment aux nouvelles, suivaient avec émotion les phases de la maladie et se plaignaient de ne pas être admis auprès du malade. « Il ne faut pourtant pas, disait l’un d’eux, que le Pape meure comme un bourgeois du Transtévère ! » En effet, depuis l’administration du Viatique, le cardinal Rampolla avait seul été admis en sa présence, et encore assez rarement, car les médecins, pour lui épargner toute fatigue, tenaient à l’entourer de solitude et de silence. Le docteur Lapponi finit par permettre