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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/274

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des cardinaux et de veiller à leur claustration. Il avait le droit de commander la petite armée pontificale, et autrefois toute la ville de Rome lui obéissait. Cette fois, comme déjà en 1878, ses pouvoirs expiraient à la Porte de bronze. Il logeait au Vatican, en dehors de la clôture. Sous sa direction, quelques employés surveillaient la place Saint-Pierre et les abords du palais pour empêcher toute communication irrégulière entre les prisonniers et le dehors, car un conclave ressemble à un grand couvent cloîtré. On n’en sort qu’en cas de mort. On n’y entre que pour des motifs d’une gravité extraordinaire : les visiteurs n’y parlent aux visités que devant témoins, et lettres envoyées ou reçues, journaux, paquets sont soigneusement contrôlés.

L’installation matérielle fut menée rapidement et les soixante-quatre logemens cardinalices furent prêts. On les tira au sort dans la dernière congrégation générale, à l’exception de six, qui furent réservés aux infirmes, dans le voisinage de la chapelle Sixtine, pour leur épargner de monter les escaliers. Sur chaque porte était écrit le mot Cella suivi du numéro : Cella 12… et du nom de l’occupant. Ce qu’on appelait cellule était en réalité un appartement composé de trois pièces hautes et vastes, l’une pour le cardinal, les deux autres pour le conclaviste et le domestique. Le bas des fenêtres était fermé par des planches, de manière que personne ne pouvait ni voir ni être vu sur la place ou dans la rue. Le mobilier, simple, ressemblait à celui des prisons bien tenues et les matelas n’étaient point des instrumens de supplice. Les patiens ont déclaré plus tard que les cuisiniers s’étaient montrés pleins de bonnes intentions et n’avaient abusé ni du macaroni ni des plats sucrés. Tous se fièrent à la cuisine italienne, à l’exception d’un seul, le primat de Hongrie. Il avait amené sa cuisinière de Gran et il demanda à l’introduire dans le Conclave. Cette faveur, qui eût été inouïe, lui fut refusée. Elle travailla donc au dehors, et chaque jour un hussard du cardinal apportait au tour ses petits plats, que recevait le hussard de l’intérieur. Naturellement les deux Magyars causaient ensemble, et les surveillans ne comprenaient rien à leur discours. On prétendit dans la suite qu’ils avaient servi d’intermédiaires entre l’ambassade d’Autriche et les cardinaux autrichiens dans l’affaire du veto. Rien n’est plus invraisemblable que cette supposition, et la conversation de ces deux domestiques resta très probablement étrangère à la haute politique. La clôture fut-elle absolument