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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/287

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grand nombre, ne resta point sans réponse. Immédiatement le cardinal-doyen se leva. « Cette communication, dit-il, ne peut être accueillie par le Conclave ni à titre officiel ni à titre officieux et il n’en sera tenu aucun compte. » Puis le cardinal Rampolla, demandant à son tour la parole, protesta en ces termes : « Je regrette qu’une grave atteinte soit portée en matière d’élection pontificale à la liberté de l’Église et à la dignité du Sacré-Collège par une puissance laïque, et je proteste donc énergiquement. Quant à mon humble personne, je déclare que rien de plus honorable et rien de plus agréable ne pouvait m’arriver. (Nihil honorabilius, nihil jucundius mihi contingere poterat.) »

Il dit cela debout, grave et pâle, avec un accent de dignité qui émut l’assemblée et où se révélait toute l’élévation de son âme. Pendant cette minute-là, le cardinal Rampolla ne compta point un seul adversaire dans le Conclave !

Nous ne voulons pas ajouter une dissertation à toutes celles qui ont déjà été écrites sur le veto. Nous constaterons seulement qu’il produisit sur les cardinaux d’abord et ensuite sur tous les juges compétens l’effet d’un anachronisme choquant, comparable aux propos et aux procédés les plus arriérés qui aient jamais été reprochés aux revenans de l’émigration. Une fois de plus l’Autriche méritait l’épigramme de Mallet du Pan : « Les coalisés ont toujours été en retard d’une année, d’une armée et d’une idée. » Il n’y avait qu’à modifier un peu la phrase. Les coalisés retardaient d’un siècle, d’une arme et d’une idée. — Il semble bien en effet qu’ils étaient trois, quoique M. le comte Goluchowski ait affirmé que l’Autriche avait agi toute seule ; mais les affirmations des diplomates ont souvent besoin d’être interprétées par une exégèse spéciale. L’arme qu’ils ont employée était rouillée et ne servira plus ; l’idée qu’ils ont méconnue, celle de la liberté parfaite de l’élection pontificale, s’imposera désormais à la conscience publique ; et les coalisés, sans le vouloir et sans le prévoir, auront donné le coup de grâce à une institution surannée, car ils ne trouveront plus de cardinal pour parler latin en leur nom.

Le bon et docile archevêque de Cracovie apprit, à l’attitude de ses collègues, qu’il y a un autre veto que celui dont il s’était fait l’interprète. Pendant trois jours encore on le rencontra dans les galeries avec sa mine toujours austère et préoccupée, mais il ne parlait plus de l’Esprit saint, et, au lieu du Veni Creator ; il