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avait l’air de réciter l’acte de contrition. On assure qu’il est étonné du bruit qu’il a fait dans le monde et qu’il ne comprend pas la sévérité avec laquelle il a été jugé. « Pourquoi m’écrit-on des lettres désagréables, dit-il, puisque j’ai été la cause de l’élection d’un si bon Pape ? »

Son Eminence se flatte : elle n’a été cause de rien. Déjà, au Conclave de Venise, en 1800, le cardinal Herzan, qui brandissait le veto contre une grande partie du Sacré-Collège et prétendait imposer l’élection du cardinal Bellisomi, ne l’obtint point et travailla en pure perte. L’Autriche n’a pas réussi davantage au conclave de 1903. Il ne paraît guère possible de revendiquer comme un succès autrichien l’élection d’un Pape venu de cette Venise où la plainte de Silvio Pellico et le cri de guerre de Manin retentissent toujours ; élevé à une époque où la jeunesse respirait la haine de l’Autrichien avec l’air natal ; patriarche de cette basilique de Saint-Marc où, chaque année, la fête de l’Empereur créait la solitude ? Quoi qu’il en soit, il n’y a pas à discuter l’hypothèse. Les témoins les plus autorisés affirment que le veto n’a été qu’un incident et, comme le disait l’un d’eux, un coup d’épée dans le Tibre. Au moment où il se produisit, le Sacré-Collège était divisé au sujet du cardinal Rampolla en deux moitiés égales qui ne se seraient jamais accordées sur son nom, et l’on commençait à redouter un Conclave prolongé.

Le veto ne passa pourtant point inaperçu. Il fut unanimement blâmé et valut une voix de plus au cardinal Rampolla, qui, le dimanche soir, recueillit trente suffrages au lieu de vingt-neuf. Il y a des pays, il y a des assemblées qui se seraient montrés plus susceptibles et où l’ingérence de l’Autriche eut amené l’élection immédiate du candidat qu’elle repoussait. Une telle hardiesse eût tué le veto, mais elle n’était ni dans le tempérament italien ni dans les habitudes des conclaves, et, sans doute, la prudence ne) la conseillait pas. Comment blesser à ce point l’Autriche et mécontenter les puissances qui partageaient ses rancunes ? Le résultat du veto fut de rendre plus ardent chez tous le désir d’en finir vite et d’accroître l’ardeur des partisans du cardinal Sarto. Déjà, le dimanche matin, il était arrivé à vingt et une voix, en dehors de l’ingérence autrichienne, car les bulletins étaient écrits avant qu’elle se manifestât. Le dimanche soir, il obtenait vingt-quatre voix, mais ses amis se heurtèrent alors aux résistances de son humilité, et, au