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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/352

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n’étaient pas moins contradictoires. Elle ne pouvait se soustraire à la reconnaissance des bienfaits que la centralisation française portait avec elle, ni même au prestige de l’épopée impériale. Et cependant la rudesse de l’Etat napoléonien lui devenait encore plus odieuse que l’État frédéricien n’avait jamais pu l’être ; car ce n’était plus un spectacle de voisinage, c’était, avec la conscription, les pesantes contributions et l’occupation militaire, un contact immédiat, une charge directe.

Vers 1811 et 1812, la balance penchait vers la haine. A la veille de 1813, le mouvement de réaction anti-napoléonienne s’était généralisé, non seulement dans le Nord, mais dans l’Allemagne entière.

Les souverains et les princes allemands n’avaient, pas tous été soumis ou conquis par Napoléon. Héritiers présomptifs en opposition avec leurs pères, princes et princesses alliés aux Cours européennes (à la Cour de Russie surtout), — petits potentats qui refusaient de suivre l’exemple des Habsbourg et d’humilier leurs races, — tous ces élémens avaient formé une sorte d’opposition secrète : opposition peu apparente, qui avait su, à l’apogée de la Confédération, suivre le courant, se dissimuler, prendre au besoin l’aspect obséquieux, renchérir même d’humilité sur les adhérens sincères, mais qui se retrouvait, s’éveillait, se manifestait même, aux premiers symptômes de déclin.

La margrave Amélie de Bade, la belle-mère de l’empereur Alexandre, est certainement l’une des personnalités les plus intéressantes de cette opposition. Elle avait plus d’orgueil de race, d’orgueil souverain, que de sentiment national. Elle correspondait cependant avec Stein, et nous savons, par les lettres qu’elle lui adressait, qu’elle était foncièrement anti-prussienne, mais non pas tout à fait inaccessible à l’idée du patriotisme allemand. Elle avait, en quelque mesure, marqué sa résistance à l’immatriculation bonapartiste.

Lorsque Joséphine était venue à Carlsruhe en 1805, à l’heure de l’apogée impériale, et lorsque son beau-père, le vieil électeur Charles-Frédéric de Bade, avait été accueillir l’impératrice des Français à la portière de sa voiture, elle avait marqué les distances en refusant de descendre l’escalier. Elle avait résisté même aux avances de Napoléon. L’Empereur avait poussé l’amabilité jusqu’à lui dire à Carlsruhe : « Vous êtes une femme d’esprit ; vous avez bien marié vos filles. » Et, de fait, l’une était