secrétaire de l’Amirauté, le capitaine de Rigny était chargé de le transmettre de Rochefort au commandant de la croisière ennemie. Les ministres agissaient-ils sur l’invitation de l’Angleterre ou avaient-ils suggéré ce moyen à Wellington et à Castlereagh ? Il y a doute[1]. Mais ce qui paraît certain, c’est qu’on ne voulait pas que Napoléon se rendît librement aux Anglais, soit que ceux-ci craignissent d’être obligés à certains ménagemens envers un prisonnier volontaire, soit que le gouvernement royal désirât se donner l’avantage de le leur livrer lui-même.
Bonnefous était comme la plupart des hommes. Il avait de l’honneur et de la générosité, mais sous le bénéfice de son intérêt. Les instructions du nouveau ministre de la Marine le troublèrent fort. Il répugnait à les exécuter, et il n’osait n’y point obéir. Il commença par temporiser. Il quitta Rochefort seulement à onze heures du soir, en prétextant qu’il fallait attendre le jusant. Puis, au lieu d’aller à l’île d’Aix où il savait qu’était l’Empereur, il vint à bord de la Saale, feignant de croire qu’il s’y trouvait encore. Arrivé à une heure après minuit, il apprit du commandant Philibert que Napoléon s’embarquerait au point du jour à l’île d’Aix, sur le brick l’Epervier, pour se rendre à la croisière anglaise. On avait encore le temps de s’opposer au départ. Mais Bonnefous eut la présence d’esprit de dire au baron Richard que Bonaparte était déjà à bord de l’Epervier, qui allait lever l’ancre d’un instant à l’autre. Puis, pour plus de sûreté, il fit envoyer par Philibert au général Beker, à l’île d’Aix, l’avis de précipiter l’embarquement, car de nouveaux ordres étaient arrivés de Paris. Cet avis n’eut d’ailleurs aucune influence sur la résolution de l’Empereur. Il la méditait depuis plusieurs jours et, la veille, il l’avait irrévocablement arrêtée. Il est même douteux que le billet du capitaine Philibert ait fait avancer d’un instant l’heure du départ. Peu après minuit, on avait commencé de transporter les bagages sur la goélette la Sophie, mouillée avec
- ↑ Plusieurs raisons font soupçonner que Fouché avait participé à cette machination : 1° Jaucourt dit que la mesure a été arrêtée par les ministres du Roi ; 2° seul, Fouché avait pu divulguer au Conseil les intentions, qu’avait exprimées Napoléon, dès le 2 juillet, de demander asile à la croisière anglaise ; 3° Fouché, le 4 juillet, avait déjà interdit toute communication de l’Empereur avec l’escadre anglaise ; 4° Fouché avait, aux premiers jours, assez d’autorité sur le Conseil pour le détourner, s’il l’avait voulu énergiquement, du projet en question, et d’autre part il tenait trop à témoigner sa gratitude à Wellington et à se faire pardonner son intrusion parmi les ministres pour combattre une mesure qui agréait à celui-là ou à ceux-ci.