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à peu près imprenable sur le continent et par suite une menace permanente pour les possessions russes. Aussi consentaient-ils bien à le céder, mais sous la réserve qu’il n’y serait pas élevé de fortifications. Malheureusement, c’était alors le tour des Japonais de trouver qu’ils n’auraient plus aucune sécurité dans leur nouveau territoire, qu’ils y seraient à la merci de leurs voisins.

Quand les points de vue de deux pays sont aussi irréductibles sur une question qu’ils considèrent comme vitale, la guerre doit s’ensuivre presque nécessairement, surtout si, par surcroît, il ne règne entre eux aucune confiance mutuelle. Or, c’était le cas ici. Jamais le Japon n’a voulu croire à la sincérité de la Russie depuis qu’elle s’est fait céder en 1900 Port-Arthur par la Chine, alors qu’en 1895 cette même Russie avait exigé du Japon qu’il renonçât à ce même Port-Arthur, lui signifiant que l’établissement en ce point d’une forte puissance militaire serait un danger pour l’indépendance et l’intégrité de la Chine. N’était-ce pas l’aveu que la Russie faisait bon marché de cette indépendance ?

Si la question coréenne suffisait largement à provoquer une guerre, et si elle est la raison première de celle qui se déroule actuellement, on ne saurait contester que la question chinoise se pose derrière elle. Dès que la Russie et le Japon sont entrés en contact avec le Céleste-Empire, ils ont eu la conscience très nette de sa faiblesse militaire ; depuis, ils rêvent l’un et l’autre d’avoir la haute main sur la Chine ; et chacun d’eux a conscience du grave péril qu’il courrait si son rival réussissait à la prendre. La Russie ou toute autre puissance maîtresse en Chine, c’est le Japon réduit à être le seul peuple de race non européenne qui soit encore indépendant, et Ton sent tout ce que ce fait aurait d’angoissant pour lui. Le Japon dictant ses volontés à Pékin, c’est le danger pour la Russie, pour l’Europe tout entière, de voir cette énorme masse chinoise, aujourd’hui amorphe, réorganisée politiquement et militairement par l’actif levain japonais, et les blancs bientôt chassés de toute l’Asie orientale.

Sans doute, le Japon et la Russie ne sont pas seuls en jeu et les autres puissances sont intéressées à ne laisser prendre à aucune des deux une influence tout à fait exclusive ; mais ces deux nations sont les plus voisines de la Chine, celles qui la comprennent le mieux et ont plus de prise sur elle. Tout en se rendant compte que leurs plans ne peuvent s’accomplir en un