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jour, chacune d’elles pense que le sort de la Chine ne se débattra en définitive qu’entre elles deux et qu’une fois victorieuse, elle pourra, avec du temps et de l’habileté, parvenir à ses fins.

C’est en premier lieu et essentiellement pour trouver à sa population un déversoir en Corée, en second lieu pour prendre hypothèque sur la Chine que le Japon fait la guerre. Quelles sont les forces dont il dispose pour s’attaquer au colosse russe ? C’est ce que nous avons à examiner.


II

Le Japonais constitue une excellente matière première militaire. A peine sorti de la féodalité, il a gardé l’esprit guerrier, développé dans les longues guerres civiles qui ont ensanglanté le pays jusqu’au début du XVIIe siècle et soigneusement entretenu jusqu’à la fin du régime féodal, il y a trente ans seulement, au sein de la classe militaire des samouraïs. Celle-ci ne constituait qu’un vingtième de la nation. Mais le prestige dont était entourée cette classe à la fois militaire, gouvernante et lettrée, maintenait dans tout le peuple l’estime du métier des armes. Comme tous les jaunes, les Japonais ont le mépris de la mort sous la forme d’une indifférence stoïque et tranquille, à laquelle ne parviennent guère même les plus braves des Européens ; mais, à la différence des autres jaunes et notamment des Chinois, ils sont tous animés du patriotisme le plus intense, qu’exalte encore l’orgueil national, l’idée de leur supériorité, si fréquente chez les peuples insulaires, et qui confond dans un même amour le sol inviolé du Japon et la dynastie qui y règne et y a toujours régné « depuis des âges éternels. » Bien ou mal entendu, le souci patriotique a toujours dominé toute autre considération dans les actes de leur gouvernement : c’est lui qui a dicté la fermeture du Japon aux étrangers, au XVIIe siècle ; c’est lui qui, au XIXe, l’isolement devenu impossible, a entraîné le pays à bouleverser toute sa vie afin de soutenir la lutte pour l’existence concurremment avec les nations européennes. C’est le patriotisme qui, lors de la guerre avec la Chine, a déterminé un Parlement, jusqu’alors en lutte constante avec le ministère, à adopter à l’unanimité tous les projets présentés par lui, comme il avait déterminé, en 1868, le dernier des shogouns à laisser consommer la ruine de sa maison plutôt que d’accepter l’aide des étrangers.