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l’autre, la Crucifixion, l’alpha et l’oméga de la vie du Sauveur, résumé émouvant traduit par le plus naïf et le plus religieux des peintres. Pour qui regarderait bien, l’un des rois mages ne serait-il pas le roi Jean le Bon encore, et l’autre, le duc Eudes de Bourgogne, son compagnon de voyage à Avignon ? On l’a dit et on le croit ; je n’en disconviens pas. Ce qui est assuré, en tout cas, c’est la qualité spéciale du panneau, son adorable simplicité, sa grâce, sa Vierge jolie, toute jeune, aimable, en un mot, tout ce qui constitue le type parfait de l’art primitif, supérieur aux plus délicates inspirations des Siennois d’alors.

L’œuvre de Paris, celle des manuscrits, des sculptures, des orfèvreries, s’exprime savoureusement dans ce panneau minuscule. Mais nous aurons une manifestation plus nationale encore dans le parement d’autel, conservé au Louvre, et connu sous le nom de Parement de Narbonne. Dessiné en grisaille sur soie blanche, il faisait partie de ce que l’on nommait alors une « chapelle quotidienne, « c’est-à-dire la réunion d’ornemens nécessaires au culte pour une fête donnée. Girard d’Orléans dessinait des chapelles quotidiennes ; les inventaires nous l’apprennent, et ces mentions valent mieux, pour la vérité, que les plus belles phrases débitées en l’air. Or, en plus du Parement de Narbonne emprunté au Louvre, nous montrerons une mitre d’évêque, identique dans sa décoration générale, que possède le Musée de Cluny. Le Parement du Louvre vient de la cathédrale de Narbonne ; il fut acquis par le peintre Louis Boilly dans le commencement du XIXe siècle. Il passait pour le don fait autrefois par un roi de France à l’église, et ce roi devait être Charles V. Le peintre l’a représenté faisant vis-à-vis à la reine Jeanne de Bourbon, à genoux et adorant le Calvaire. Ces portraits rappellent, dans leur sincérité naturaliste, celui de Jean le Bon ; ils sont incontestablement pris sur le modèle vivant ; les rides du Roi sont de ces détails qu’on n’invente pas, qu’on omettrait plutôt ; quant à la Reine, l’artiste l’avait avantagée de trop, il s’est repris, et ce repentir constate, mieux que tout, l’ouvrage « d’après le vif, » l’étude sur nature.

Une particularité assure au Parement de Narbonne une authenticité et une date bien incontestables toutes deux ; c’est l’imitation, la transcription fragmentaire que nous avons récemment trouvée, dans un des plus célèbres manuscrits de ces temps, les Petites Heures du duc de Berry à la Bibliothèque nationale. L’enlumineur du manuscrit n’était peut-être pas le dessinateur