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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/438

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du Parement, mais il pouvait être son fils ou son compagnon. En tout cas l’inspiration de l’un à l’autre n’est pas discutable, et ce n’est pas le Parement qui fut copié d’après le manuscrit. Nous sommes en 1380 au plus tard, à la mort de Charles V, c’est-à-dire au temps encore où bien peu d’artistes italiens pourraient produire une œuvre d’une intensité dramatique aussi formelle. On sent que le peintre a vu représenter des mystères, qu’il en a cherché la puérilité cruelle et raffinée à la fois. Mais il y a mieux encore pour les historiens futurs de l’art français à ses débuts : ce sont les formules graphiques, les thèmes parisiens, empruntés aux mœurs ambiantes, qui se transformeront ultérieurement, passeront aux voisins, et de Paris gagneront les frontières. Déjà, l’Apocalypse d’Angers nous avait révélé certains motifs de composition, d’architecture que nous verrons bien plus tard utilisés par Broderlam, par les frères Limbourg ou les Van Eyck ; le Parement nous explique d’autres emprunts encore. Une figure de la « Vraie foi » y est surtout singulière ; elle a chez nous une ascendance lointaine. C’est justement celle que nous a conservée Villard de Honnecourt dans ses croquis de 1250. Le Parement est donc un monument français de pure lignée originelle ; il tient le premier rang dans nos tentatives de démonstration.

Nous avons parlé déjà de la tapisserie d’Angers, exécutée à Paris par le tisseur Nicolas Bataille, d’après les miniatures d’un manuscrit de Cambrai, agrandies par le peintre Jean Bandol. Cette œuvre unique fut commandée par Louis Ier duc d’Anjou, l’un des fils de Jean le Bon, l’un des Valois les plus magnifiques. La cathédrale d’Angers veut bien prêter à l’exposition l’une des pièces, celle dite de l’Agneau, dont les frères Van Eyck élargirent et modernisèrent la donnée dans le retable de Gand. Du manuscrit cambrésien au peintre de Bruges, par l’entremise du duc d’Anjou, c’est l’influence française surprise. Jean Bandol fût-il de Bruges, lui aussi, que la démonstration serait encore plus éclatante, puisqu’il ne fut qu’un adaptateur, et si l’on peut dire le copiste d’un de nos manuscrits, comme l’a prouvé M. Léopold Delisle. Aussi bien jugeons-nous très mal ces gens ; nos idées modernes nous égarent. Ni Girard d’Orléans, ni Jean d’Orléans, ni Jean Bandol, ni Van Eyck ne sont des peintres suivant l’observance récente. On les voit tour à tour sculpter, modeler, dessiner, mettre en couleur des meubles, et lustrer le parquet des salles.