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d’Anvers et de Vienne, tout ce qui a pu résister, et qui, pour le moment, représente, à cause de sa rareté, le plus inestimable trésor. Par grand malheur, les feuillets des Heures ne quitteront pas le Musée Condé à Chantilly, mais le portrait de l’homme qui les avait commandés au peintre, Etienne Chevalier, nous viendra de Berlin. Ce vœu audacieux a été réalisé grâce à la bienveillance d’un illustre amateur, que nous sommes heureux de remercier ici.

L’histoire de ce portrait de Berlin est romanesque et singulière. Avant la Révolution, il y avait dans l’église Notre-Dame de Melun une pierre tombale, sur laquelle étaient représentés, en grandeur naturelle, Etienne Chevalier, ancien trésorier de Charles VII, et sa femme, Catherine Budé. Au-dessus de la tombe, contre la muraille, un diptyque était suspendu. C’était une peinture soignée, représentant, sur le volet de droite, une Vierge portant un enfant sur ses genoux. Sur le volet de gauche, agenouillé, dans l’attitude de la prière, un homme en longue robe foncée était présenté à la Vierge par saint Etienne son patron. Les gens disaient que la mère de Dieu avait emprunté les traits de la belle Agnès Sorel, maîtresse du roi, protectrice du donateur, lequel était Etienne Chevalier.

Si le doute eût été permis, il eût été levé par le premier feuillet du livre d’Heures ; la même scène, avec quelques différences, y est peinte, et ces Heures ont appartenu à Chevalier, puis à Duplessis-Mornay, puis à un autre Chevalier sous Louis XIII, et enfin à Roger de Gaignières. Le diptyque de Melun fut enlevé avant la Révolution, partagé en deux, et les fragmens en coururent le monde. L’Agnès Sorel, en vierge ; finit par être accueillie au musée d’Anvers, qui veut bien la prêter à l’Exposition. Quant à l’Etienne Chevalier, il rallia son livre d’Heures en Bavière, et passa aux mains d’un jurisconsulte allemand, M. Brentano. Les feuillets du livre d’Heures découpés avaient été collés, à plein, sur des planchettes et ornaient la salle de billard d’un petit hôtel de la Taunus-platz à Francfort. Le panneau, peint sur bois et représentant Chevalier, était également là, sous un rideau de serge verte, admirablement conservé contre la poussière et la lumière. Depuis la mort de M. Brentano, le Musée de Berlin l’acquit de ses héritiers.

Pour la première fois, depuis cent ans, Agnès et son ami se trouveront réunis en France. Des émissaires spéciaux iront