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ou pitoyable. Il est historique, lorsque le poète, en présence des vestiges d’une civilisation détruite, conçoit déjà le sentiment tout moderne de la poésie des ruines. Il ne lui manque plus guère aucun des moyens d’expression dont il peut utilement se servir ; il est un raccourci de la poésie tout entière.

Mais c’est la loi de tous les êtres qu’arrivés à leur plein développement, ils doivent s’altérer et dépérir. Les espèces littéraires n’y échappent pas. La décadence a commencé pour le sonnet dès le temps de Desportes. Il a perdu avec celui-ci tout ce que la Pléiade lui avait conservé de gravité ; redevenu tout italien, il n’a pris au sonnet italien que ses défauts, l’afféterie, la manière, le goût des concetti. Dès lors nous allons assister à sa progressive décomposition, et voir par son exemple « comment les genres meurent. » C’est d’abord que les autres genres s’organisent ; ceux qui, au jour de la brillante entrée en scène du sonnet tout armé, se débattaient encore dans l’incertitude et les tâtonnemens, ont pris conscience d’eux-mêmes. Ils s’approprient et donc ils enlèvent au sonnet ce qui faisait le meilleur de sa substance. L’ode à la façon de Malherbe l’écrase de son voisinage, et le réduit décidément à n’être qu’un genre inférieur. La satire à la manière de Régnier lui retire les tableaux de mœurs. L’élégie prend pour elle l’expression de la tristesse, et le théâtre revendique l’analyse des passions de l’amour. Sans doute, on continue de faire des sonnets amoureux, élégiaques, satiriques, héroïques, parce que l’habitude est prise ; mais le courant n’est pas de ce côté. Aussi, pour se renouveler le sonnet est-il obligé de se prêter aux pires caprices de la mode. Il était précieux avant le règne de la préciosité : il devient le divertissement des ruelles. Les beaux esprits de province avaient naguère fait assaut d’ingéniosité pour célébrer la puce de Mlle Desroches ; les salons de Paris vont se diviser au sujet des deux sonnets de Job et d’Uranie. La préciosité sous une autre de ses formes s’appelle le burlesque. Le sonnet descriptif de Saint-Amant s’amuse aux peintures triviales et truculentes. Le sonnet burlesque de Scarron est une perversion et une parodie du genre. Douze vers sérieux n’ont pour objet que d’amener une conclusion saugrenue et triviale qui éclate soudain et par le contraste produit un effet de bouffonnerie. Mauvais plaisant et pince-sans-rire, le poète passe en revue pyramides, palais, Colisées « superbes monumens de l’orgueil des humains, » et, après avoir constaté qu’ils sont tous insultés et ruinés par le temps, il conclut :


Dois-je trouver mauvais qu’un méchant pourpoint noir
Qui m’a duré deux ans soit percé par le coude ?