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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/457

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Enfin une dernière variété surgissait appelée à un succès assez durable : le sonnet en bouts-rimés. Ce sera le suprême avatar du genre, et c’est sous cette forme que le sonnet déjà défunt se survivra à lui-même : c’est à coups de sonnets en bouts-rimés qu’on se querellera autour de la Phèdre de Racine. Italianisme, préciosité, description triviale, pantalonnade, pointes, on le voit, le sonnet a recueilli successivement toutes les modes littéraires les plus fâcheuses contre lesquelles va se faire au milieu du siècle une réaction puissante et décisive. La littérature de 1660 dédaigne le sonnet. Les vers de Boileau dans l’Art poétique équivalent à une signification de congé. Dans un système où la rime est une esclave et ne doit qu’obéir, où le vers régulièrement coupé à l’hémistiche a perdu en souplesse ce qu’il gagnait en vigueur, il est clair que le sonnet n’a plus sa place. Boileau ne voit guère dans ses règles si précises qu’une gageure, ou une torture. L’hommage qu’il lui rend est si outré qu’on a peine à le prendre au pied de la lettre : car le moyen d’admettre qu’un sonnet même excellent vaille un long poème ? Au surplus il s’empresse de retirer l’éloge qu’il vient de décerner au sonnet sans défaut :


Un si rare phénix est encore à trouver.


Le plus sage est de ne pas s’essouffler à la poursuite d’une perfection qu’on n’atteindra pas ; car la réciproque est vraie, et un sonnet qui n’est pas sans défaut ne saurait manquer de tomber au-dessous du rien. Relégué au rôle d’amuseur mondain, le sonnet trouve autour de lui, même pour cet emploi, des concurrences redoutables. Mascarille a composé « deux cents chansons, autant de sonnets, quatre cents épigrammes et plus de mille madrigaux, sans compter les énigmes et les portraits. » C’est l’épigramme et c’est le madrigal maintenant qui ont la faveur : juste retour des choses d’ici-bas ! Au sonnet comme à la ballade on trouve un air suranné et vieillot. Molière a fait rire aux dépens du sonnet d’Oronte, qui est charmant, si celui de Trissotin est inepte. Et on ne guérit pas facilement des blessures que fait le rire de Molière. Les médecins en savent quelque chose. Je ne jurerais pas qu’il n’ait causé presque autant de tort aux sonnettistes. Aujourd’hui encore, dans certaines préventions que de bons esprits ont gardées contre le sonnet, je ne sais si on ne démêlerait pas quelque obscur ressouvenir du comique que soulève dans le théâtre du grand railleur la chute amoureuse des sonnets d’antan.

Le fait est que pendant plus de cent cinquante années, le sonnet disparaît de notre littérature. Il est vrai que le XVIIIe siècle n’aimait