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l’instrument le plus sûr dont se servira l’école parnassienne pour accomplir sa réforme.

Composé de poètes artistes, d’écrivains réfléchis et scrupuleux, l’école parnassienne se proposait d’abord la recherche de la forme parfaite, du terme exact, de la rime riche. Mais en outre elle voulait, au lieu de revenir sans cesse aux thèmes personnels, subordonner la poésie à l’objet, la rapprocher de la nature et de l’histoire, là soumettre au contrôle de la philosophie et de la science. Il est impossible de ne pas voir quel merveilleux secours la forme du sonnet devait lui apporter pour réaliser un tel programme. Car la vielle distinction de la forme et du fond n’est pas vaine. Pour enfermer dans quatorze vers, idée ou émotion, il faut l’avoir condensée et précisée. Pour y faire tenir un tableau, il faut en avoir choisi chaque détail parmi les plus expressifs. C’est ce qu’il est aisé de vérifier, en prenant texte des modernes chefs-d’œuvre du sonnet, tel que nous le devons à MM. Coppée, Sully Prudhomme, de Hérédia. Dans les sonnets du Reliquaire s’exprime une fine sensibilité attestant le travail d’une âme repliée sur elle-même. Le sonnet a servi ici d’un merveilleux instrument d’analyse. La vague mélancolie lamartinienne devient avec Sully Prudhomme une tristesse plus précise qui se traduit dans un langage serré et subtil. C’est en sonnets qu’est écrit ce drame de conscience intitulé les Epreuves. Et dans la Justice, le sonnet sert au chercheur pour poser les termes du problème philosophique et condenser les objections. On sait assez que dans la Légende des siècles, Victor Hugo a refait l’histoire de l’humanité suivant le caprice souverain de son génie, et qu’il s’est magnifiquement arrogé le droit d’encadrer sa personnalité dans des décors empruntés à toutes les époques et d’ailleurs fantaisistes. Qu’on lise ensuite les Trophées ; on ne sait si chacun des sonnets qui les composent vaut davantage par la sûreté de l’érudition ou par l’intensité du rendu. Dans tous ces cas, c’est au sonnet que la poésie parnassienne a dû la plus complète expression d’elle-même ; et c’est pareillement grâce à la poésie parnassienne que le sonnet a retrouvé avec un caractère un peu différent, un lustre égal à celui qu’il avait eu jadis.

Depuis lors, Verlaine a pu écrire les fameux sonnets de Sagesse, et M. de Régnier en composer qui sont d’une exécution achevée ; l’un et l’autre ils ont subi la discipline parnassienne et ne se rattachent que par des liens assez lâches à l’école symboliste. Avec celle-ci, qui proscrit les poèmes à forme fixe, nous assistons de nouveau à la désorganisation du sonnet. Mais peut-être en avons-nous assez dit pour qu’on